Située sous un porche de la rue des Olivettes se trouve la discrète entrée vers la cour de Pol’n. Le jeudi 17 octobre à 18h30, la soirée s’ouvre sur l’exposition d’Ana Pich’. L’entrée, à prix libre, a permis à chacun·e de contribuer selon ses moyens et de soutenir le lieu. Les visiteur·ses ont ainsi pu déambuler à travers les dessins issus d’un long travail d’observation dans les tribunaux.
À 20h, l’espace était plein pour le débat, des chaises supplémentaires étaient même ajoutées, et plusieurs personnes s’installaient sur les grandes tables au fond de la salle. La dessinatrice, d’abord inquiète, pouvait être rassurée : la soirée sur les violences judiciaires a fait salle comble.
Un public varié mais une réflexion commune
Parmi les visiteur·ses, les motivations divergeaient, mais la curiosité et l’envie de mieux comprendre les rouages du système judiciaire les rassemblaient. À l’image de Louis, employé au CROUS, qui admettait : « Ce matin, j’ai regardé une vidéo sur le sujet, histoire de ne pas paraître trop bête », illustrant l’engagement progressif face à un sujet aussi complexe. Sylouan, travaillant dans la restauration, témoignait : « Je voulais surtout entendre les points de vue anticarcéraux, en particulier ceux des personnes qui travaillent de l’intérieur. » Pour Nejma et Camille, avocates en droit des étrangers et membres du Syndicat des Avocats de France (SAF), c’était l’occasion d’envisager leur quotidien sous un autre angle : « On exerce tous les jours, on est conscientes de la violence que c’est, mais de pouvoir prendre du recul, c’est pas mal. »
La violence du système judiciaire : entre rendement et incompréhension
Les intervenant·es ont abordé plusieurs thématiques, notamment l’idée que travailler dans le domaine de la justice peut être intrinsèquement violent.
Lara, magistrate, a évoqué les travaux de Christophe Dejours sur la souffrance éthique, relatant la détresse des professionnel·les contraint·es d’agir contre leurs valeurs en raison des objectifs de rendement, symbolisée par le taux de réponse pénale instauré dans les années 2000. Maxime Gouache, avocat, a décrit les dilemmes auxquels il fait face lorsqu’il doit expliquer à ses client·es des décisions judiciaires qu’il peine lui-même à comprendre. Il a exprimé la difficulté de faire comprendre le système judiciaire à celles et ceux qui en sont victimes. Un constat partagé par Basile de Bure, journaliste et écrivain, qui a souligné la dureté de convaincre les adultes qu’iels sont eux-mêmes victimes d’un système inégalitaire : « Ils [personnes condamnées à un TIG, ndlr] hallucinaient quand je leur racontais que je ne m’étais jamais fait contrôler, eux, c’est leur quotidien depuis qu’ils ont 10 ans.»
« Repenser les imaginaires »
Pour Marie, ancienne infirmière, le débat a permis de remettre un contexte : « Pourquoi y a-t-il toutes ces violences dans la justice ? Parce que le petit système est imbriqué dans le grand. C’est pour ça qu’il y a des violences systémiques, et c’est en transformant le système global qu’on pourra transformer le système judiciaire. »
« Repenser les imaginaires » a été la réflexion qui a conclu le débat. L’enjeu est de permettre à la population de concevoir une société différente. Basile de Bure a proposé de s’inspirer des zapatistes, où ni la prison ni la police n’existent, et où, contre toute attente, aucun féminicide n’est recensé.
Cette soirée aura permis aux intervenant·es comme aux spectateur·ices d’échanger et d’apprendre les uns des autres, ouvrant la voie à de nouvelles réflexions.