4 novembre 2019

« Retour à Reims » mis en scène par Ostermeier au LU

Il y a tout juste 10 ans, Didier Eribon publiait Retour à Reims, essai autobiographique et sociologique dans lequel l’auteur, de retour dans sa ville natale après 30 ans d’absence, s'efforçait de comprendre les mécanismes de son milieu ouvrier d’origine. Ce mercredi 23 octobre, nous avons pu découvrir l’adaptation théâtrale de cet essai, mis en scène par Thomas Ostermeier au LU.

« Retour à Reims » mis en scène par Ostermeier au LU

04 Nov 2019

Il y a tout juste 10 ans, Didier Eribon publiait Retour à Reims, essai autobiographique et sociologique dans lequel l’auteur, de retour dans sa ville natale après 30 ans d’absence, s'efforçait de comprendre les mécanismes de son milieu ouvrier d’origine. Ce mercredi 23 octobre, nous avons pu découvrir l’adaptation théâtrale de cet essai, mis en scène par Thomas Ostermeier au LU.

Didier Eribon, le sociologue

Transfuge de classe (qui a vécu un changement de milieu social), Didier Eribon nous explique qu’il a vécu la honte de ses origines sociales comme il a vécu la honte de son homosexualité. Il existerait un “placard social” qui, comme le “placard gay”, aurait forcé l’auteur, évoluant alors dans un milieu universitaire et intellectuel parisien, à user de stratagèmes pour ne pas être démasqué, et le forçant à se tenir éloigné de sa famille pendant quasiment 30 ans.

“Les subterfuges pour brouiller les pistes, les très rares amis qui savent mais gardent le secret, les différents registres de discours en fonction des situations et des interlocuteurs, le contrôle permanent de soi, de ses gestes, de ses intonations, de ses expressions, pour ne rien laisser transparaître, pour ne pas se “trahir” soi-même, etc. ” Retour à Reims, Didier Eribon

[aesop_image imgwidth= »50% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2019/11/retour_a_reims_1.jpg » credit= »DR » align= »center » lightbox= »on » captionposition= »left » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]

La prise de conscience de cette honte, 30 ans plus tard, incite l’auteur à revenir sur l’histoire de sa famille et ainsi livrer une analyse sur l’assujettissement des minorités sociales à travers sa propre expérience. Cette auto-analyse sert de fond à une analyse plus globale du monde social, au développement de la notion de “reproduction sociale” chère à Karl Marx et à la dénonciation de l’abandon du monde ouvrier par la gauche, convaincu de plus en plus par ceux qui leurs donnent désormais une tribune : le Front National.

[aesop_image imgwidth= »50% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2019/11/Vidy_Ostermeier_RetourAReims-©-MathildaOlmi_Théâtre-Vidy-Lausanne15_HD.jpg » credit= »Mathilda Olmi » align= »center » lightbox= »on » captionposition= »left » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]

Thomas Ostermeier, le pédagogue

Dans un studio, une comédienne (Irène Jacob) enregistre la voix off d’un documentaire, dirigée par le réalisateur (Cédric Eeckhout) assisté de l’ingénieur du son et propriétaire du studio (Blade Mc Alimbaye). Sur un écran, en fond, défilent les images montrant Didier Eribon empruntant le train qui le ramène à Reims auprès de sa mère. Tous deux se remémorent des scènes du passé au travers des photographies que sa mère a ressorties pour l’occasion.

[aesop_image imgwidth= »50% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2019/11/Vidy_Ostermeier_RetourAReims-©-MathildaOlmi_Théâtre-Vidy-Lausanne01_HD.jpg » credit= »Mathilda Olmi » align= »center » lightbox= »on » captionposition= »left » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]

Peu à peu, et grâce aux confrontations entre la comédienne, le réalisateur et l’ingénieur du son (dont on découvrira plus tard l’histoire de son grand-père, tirailleur sénégalais), le regard s’éloigne de l’intimité de Didier Eribon pour interroger le collectif. Ostermeier finit par redéfinir les frontières du texte pour le faire résonner dans l’actualité des gilets jaunes et des questions d’immigration, nous permettant ainsi une meilleure compréhension de l’oeuvre, se faisant bruyamment l’écho de notre Histoire récente. La mise en scène est juste, intelligente, percutante, on en sort séduit et grandi.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017