11 juin 2018

Richard Rittelmann, dans l’énergie du chant et du jeu

Richard Rittelmann adore le répertoire français, dont il sculpte chaque mot de manière saisissante. Il a notamment été un émouvant Pelléas à Metz en 2008, et on a pu le voir cette saison en Gregorio de « Roméo et Juliette » de Gounod, dans la passionnante mise en scène d’Irina Brook présentée à Nice. Ce baryton d’une belle sensibilité a accordé un entretien à fragil.

Richard Rittelmann, dans l’énergie du chant et du jeu

11 Juin 2018

Richard Rittelmann adore le répertoire français, dont il sculpte chaque mot de manière saisissante. Il a notamment été un émouvant Pelléas à Metz en 2008, et on a pu le voir cette saison en Gregorio de « Roméo et Juliette » de Gounod, dans la passionnante mise en scène d’Irina Brook présentée à Nice. Ce baryton d’une belle sensibilité a accordé un entretien à fragil.

Fragil : Vous êtes un grand défenseur du répertoire français, et vous avez notamment été un mémorable Pelléas de « Pelléas et Mélisande » en 2008 à l’Opéra de Metz. Quel souvenir gardez-vous de ce rôle, et du spectacle ?
Richard Rittelmann : Avec Jean De Pange, c’est la première fois que j’étais confronté à un metteur en scène issu du théâtre ; c’est très enrichissant car je ne suis pas seulement chanteur mais aussi acteur. L’atmosphère épurée qu’il avait su créer nous a permis de construire quelque chose d’intemporel et de symbolique, ce que suggère la musique de Debussy. Nous avons aussi trouvé une complicité de frères ennemis et amis, entre Pelléas et Golaud, dans le rapport à la fois solaire et lunaire qu’ils entretiennent avec Mélisande. J’avais chanté ce rôle auparavant en concert, mais ne l’avais jamais abordé sur scène. Eric Chevalier, qui dirigeait à l’époque l’Opéra de Metz, m’a donné cette chance, et pour moi, c’est un rêve qui se réalisait, dans cette tessiture particulière de baryton martin. Je me suis fait connaître dans ce répertoire. La distribution était merveilleuse, avec Karen Vourc’h, complètement inspirée en Mélisande, et le grand luxe d’avoir Nicolas Courjal en Arkel ! Tous les jours, on se retrouvait autour d’une table après les répétitions, et on continuait à philosopher, avec beaucoup d’enthousiasme. Beaucoup d’émotions sont liées à ce travail. Je jouais un personnage insaisissable. La coupure brutale, entre la mort de Pelléas et l’évanescence du dernier acte, me touche beaucoup : on est en lévitation dans une disparition enveloppée de lumière, ne sachant plus dans quel élément on se trouve. Le dernier accord de l’opéra, en do majeur, est incroyable. Il est aussi inattendu que dans l’une des scènes du « Château de Barbe-Bleue » de Béla Bartok, et surgit comme un ébranlement mystique. Ce serait très cohérent, musicalement comme sur le plan dramaturgique, d’enchaîner les deux ouvrages au cours d’une même soirée…

« Tous les jours, on se retrouvait autour d’une table après les répétitions, et on continuait à philosopher, avec beaucoup d’enthousiasme. »

[aesop_image imgwidth= »1024px » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2018/06/harcourttaiwan1.jpg » credit= »Hsu Chung » align= »center » lightbox= »on » caption= »Richard Rittelmann » captionposition= »center » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]

« Je lui dois tout, et elle m’a transmis toute une tradition pour l’interprétation. »

Fragil : Vous aviez préparé ce rôle de Pelléas avec Irène Aitoff. Quels conseils cette grande dame du chant français vous avait-elle donnés ?
Richard Rittelmann : Je lui dois tout, et elle m’a transmis toute une tradition pour l’interprétation. Elle était l’invitée des plus grands chefs. Durant son impressionnante carrière, elle donnait le tempo dans la fosse d’orchestre, comme un souffleur transmettant la dynamique des partitions, et sans elle, les plus grands chefs étaient perdus. Pour Herbert Von Karajan à l’Opéra de Vienne, comme pour Charles Munch, c’était une muse. C’est lorsque j’étais en troupe à l’Opéra de Lyon que j’ai participé à des Master class qu’elle donnait. Durant une séance, quelqu’un m’a observé de la salle : c’était le cinéaste Dominique Delouche, qui était très proche d’Irène Aitoff, et qui préparait un film sur son travail, « La Grande Mademoiselle ».

Richard Rittelmann : J’ai participé à ce film tourné à l’Opéra Comique, où l’ouvrage avait été créé. On la voit me guidant dans la scène de la mort de Pelléas, m’accompagnant et chantant tous les autres rôles, ce qui est fascinant. Nous nous sommes revus ensuite. Elle m’a donné de précieux conseils ; je prenais tout ce qu’elle me disait, comme une éponge. C’était magique. Un jour, elle m’a invité à la bibliothèque de la Fondation Royaumont, où elle m’a montré la toute dernière partition de « Pelléas », avec des annotations sur les instruments et sur les lignes mélodiques, de la main de Debussy et auxquelles il tenait. On n’a malheureusement jamais pris en compte ces corrections très précises, voulues par le compositeur. Mais la partition enfin corrigée devrait paraître dans deux ans.

[aesop_image imgwidth= »1024px » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2018/06/DSC_0221.jpg » align= »center » lightbox= »on » caption= »Roméo et Juliette" de Gounod, mis en scène par Irina Brook à Nice » captionposition= »center » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]

Fragil : En 2010, vous avez participé à l’Opéra de Nice aux « Dialogues des Carmélites » de Francis Poulenc, dans la vision de Robert Carsen. Quelles traces ce spectacle vous a-t-il laissées ?
Richard Rittelmann : Durant mes années d’études à Genève, j’étais choriste au Grand Théâtre, où Robert Carsen a mis en scène « Lohengrin » de Richard Wagner, sous la direction de Christian Thielemann. Je l’avais donc déjà rencontré, et gardais un très grand souvenir de ce spectacle, à la fois moderne et d’une intelligence totale. A Nice, pour ces « Dialogues des carmélites », c’est la première fois que je voyais un tel enthousiasme chez les solistes comme chez les choristes. Carsen dirigeait le chœur comme un personnage à part entière. Il se montrait extrêmement clair et précis dans ses intentions, tout en s’adaptant à chaque personnalité en proposant de nouveaux détails, car sa vision n’était pas figée. Il y avait beaucoup de monde sur le plateau, mais l’ambiance était toujours très calme. Nous avons tous donné le meilleur, car nous avions conscience de participer à quelque chose d’exceptionnel.

« Irina met tout le monde à l’aise, en cassant certains codes de l’opéra. Elle a l’art de créer un esprit de troupe… »

Fragil : Cette saison, vous étiez Gregorio du « Roméo et Juliette » de Gounod, également à l’Opéra de Nice, dans la mise en scène d’Irina Brook. Comment présenteriez-vous son travail ?
Richard Rittelmann : Irina met tout le monde à l’aise, en cassant certains codes de l’opéra. Dans la salle de répétition par exemple, elle avait installé une cafeteria, pour que ce soit plus convivial et que tous les artistes se retrouvent. Elle a l’art de créer un esprit de troupe, et nous venions tous d’univers très différents. Il y avait aussi dans ce spectacle des danseurs de hip-hop et des cascadeurs. Nous avons tous tissé des liens très forts, qui perdurent au-delà de l’opéra puisque nous nous donnons toujours des nouvelles. L’une des exigences d’Irina Brook était que les chanteurs aient l’âge des rôles, et le résultat était vraiment réussi, car on croyait vraiment à ce qui se jouait. Sa conception transposait cette histoire d’amour en pleine guerre, et elle nous montrait qu’il y a toujours une place pour une telle passion, même dans un monde dévasté. Ce qui était une belle idée. Cette rencontre a été pour moi une belle révélation ; j’ai beaucoup d’admiration pour son père, Peter Brook, et ce travail avec elle restera pour moi quelque chose de précieux. Jamais elle ne nous conduisait vers des choses incompatibles avec ce que l’on pouvait faire : elle proposait mais n’imposait jamais. On se laissait porter dans la vérité du drame shakespearien…

[aesop_image imgwidth= »1024px » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2018/06/DSC_2144.jpg » align= »center » lightbox= »on » caption= »Irina Brook a su créer un esprit de troupe » captionposition= »center » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]

« La partition est d’une belle théâtralité. Ce n’était pas une structure fixe, mais il y avait une certaine souplesse, pour une vraie création. »

Fragil : Vous avez également chanté le rôle de Nemo adulte dans la création de « Little Nemo » de David Chaillou, en 2017 à Angers Nantes Opéra. Quelles émotions particulières cet ouvrage vous a-t-il données ?
Richard Rittelmann : C’est très émouvant de chanter sur scène après avoir suivi tout la genèse d’une partition. David Chaillou m’avait sollicité pour cette création ; il s’est inspiré de ma voix pour construire son projet, qui a été retenu ensuite par la fondation Beaumarchais. Jean-Paul Davois dirigeait alors Angers Nantes Opéra. Il cherchait un opéra pour enfants et a décidé de le monter. Des écoles ont participé au spectacle, et c’était l’une de ses grandes forces. C’est la première fois que je travaillais avec un compositeur du début à la fin, face à une musique en devenir. La partition est d’une belle théâtralité. Ce n’était pas une structure fixe, mais il y avait une certaine souplesse, pour une vraie création. Ça pouvait se passer comme ça à l’époque de Mozart, qui écrivait ses œuvres au fur et à mesure des répétitions, en fonction des chanteurs qui étaient de véritables muses.

[aesop_image imgwidth= »1024px » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2018/06/nemo-23534.jpg » credit= »Jef Rabillon » align= »center » lightbox= »on » caption= »Richard Rittelmann dans "Little Nemo" de David Chaillou à Angers Nantes Opéra (2017) » captionposition= »center » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]

Fragil : Quels autres répertoires aimez-vous interpréter et quels sont les projets qui vous tiennent à cœur ?
Richard Rittelmann : Je m’efforce de ne pas aborder de rôles trop lourds pour ma voix, et je ne suis pas allé au-delà de Puccini, dont je serais heureux à présent de faire tous les rôles pour baryton, sauf peut-être celui de Scarpia dans « Tosca ». Je suis toujours à la recherche de nouveaux répertoires, et j’ai pris beaucoup de plaisir à chanter des raretés comme « Le carrosse du Saint-sacrement » d’Henri Busser à l’Opéra de Lyon. Cet ouvrage d’après Prosper Mérimée date de 1948. J’ai aussi été Don Ernesto dans « Don Procopio » de Georges Bizet, mon premier contrat de soliste, à l’Opéra de Rennes. J’aime le répertoire français, même si je suis bilingue, de père allemand et de mère francophone. J’aimerais beaucoup aborder Valentin du « Faust » de Gounod. Fin mai début juin, je suis à Chypre pour Marcello de « La bohème » (un rôle que je retrouverai en septembre à Sidney) et Arbace d’ « Idomeneo » de Mozart. En novembre, je retournerai à Nice pour l’opérette « Valses de Vienne » de Johan Strauss père et fils. L’un des projets qui me tient à cœur est « L’opéra de la paix » de Richard Errington, qui sera représenté en décembre à l’O.N.U, à Genève.

« Chanter, c’est un acte émotionnel, interprétatif, et pas seulement vibratoire. »

Fragil : Vous avez animé des Master class à plusieurs reprises à La Baule. Comment présenteriez-vous ce travail et que vous a-t-il apporté ?
Richard Rittelmann : Proposer une période de Master class, c’est plus facile pour moi dans la durée que donner des cours de chant de manière régulière. J’ai la capacité de m’adapter à la morphologie vocale de chaque chanteur et de donner des conseils positifs, en cherchant la ligne adjacente au talent de chacun, où il sera le meilleur. Chanter, c’est un acte émotionnel, interprétatif, et pas seulement vibratoire. L’échange avec les chanteurs est très enrichissant. Je suis par ailleurs en train de créer un festival en Provence, à Grasse, où nous allons proposer cet été une « Carmen » itinérante, où le public se déplacera à chaque acte sur plusieurs sites, dans une mise en scène d’Olivier Balazuc (le metteur en scène de « Little Nemo »). Il y aura aussi un concert lyrique de chanteurs qui seront accompagnés par l’immense pianiste François-René Duchable. Je proposerai également une Master Class à Grasse début septembre.

[aesop_image imgwidth= »1024px » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2018/06/CYRANO-LE-BRET.jpg » credit= »Christian Pesch » align= »center » lightbox= »on » caption= »Avec Roberto Alagna dans "Cyrano de Bergerac" de Franco Alfano à Montpellier ( 2003) » captionposition= »center » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]

« Pavarotti m’a remercié, et c’était très touchant. »

Fragil : Pourriez-vous citer un souvenir particulièrement intense dans votre itinéraire d’artiste ?
Richard Rittelmann : J’ai des souvenirs très forts, mais j’aimerais citer deux d’entre eux. Lors de la toute dernière série de concerts de Luciano Pavarotti, j’ai eu la chance d’être invité à Taïwan pour participer à l’un d’entre eux. C’était six mois avant sa disparition, en 2007. Il était très fatigué et j’ai chanté deux morceaux, dont le prologue de « I Pagliacci », pour lui alléger son programme. Pavarotti m’a remercié, et c’était très touchant. Je me souviens également de « Cyrano de Bergerac » de Franco Alfano, à Montpellier en 2003, avec Roberto Alagna. C’était en plein conflit des intermittents. Alagna, qui est vraiment un roi, est parvenu à porter tout le monde, à trouver les mots justes pour que le spectacle se fasse malgré tout. Lorsque l’on est sincère dans ce que l’on fait, on arrive à être convaincant.

[aesop_image imgwidth= »1024px » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2018/06/IMG_0237.jpg » credit= »Richard Rittelmann » align= »center » lightbox= »on » caption= »Aux côtés de Luciano Pavarotti lors d’un concert à Taïwan (2007) » captionposition= »center » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]

Christophe Gervot est le spécialiste opéra de Fragil. Du théâtre Graslin à la Scala de Milan, il parcourt les scènes d'Europe pour interviewer celles et ceux qui font l'actualité de l'opéra du XXIe siècle. Et oui l'opéra, c'est vivant ! En témoignent ses live-reports aussi pertinents que percutants.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017