Réalisé en 2007, le film documentaire de Sara Rastegar dépeint la vie de différentes femmes en Iran, leurs traditions, leurs aspirations et leurs perceptions de la société iranienne. Le projet est né deux ans après la sortie de son premier long-métrage, L’Ami (2005), ayant remporté de nombreux prix dans des festivals internationaux de cinéma. C’est lors d’un festival au Brésil, à Rio de Janeiro, qu’une personne de la chaîne TV d’information qatarie Al Jazeera lui demande de « faire des portraits sur des femmes au Moyen-Orient » explique la réalisatrice après la projection du documentaire jeudi dernier. « À l’époque je n’avais pas de production, j’avais rien, je commençais vraiment à décider de faire des films. J’étais en fin d’études d’architecture et je ne savais pas trop comment faire. Et finalement je me suis dit que je pouvais les faire car j’avais envie de retourner en Iran et il y avait plusieurs projets que je voulais filmer dont des portraits de certaines femmes que j’avais rencontré là-bas », détaille la réalisatrice. Avec le voyage, la caméra et les frais sur place payés par la chaîne Al Jazeera, Sara Rastegar réalise ses portraits de femmes en Iran à la manière du réalisateur Alain Cavalier dans sa série de films documentaires 24 Portraits (1987-1991). « Alain Cavalier avec ses portraits est quand même un modèle » et c’est avec ces exemples en tête que la jeune réalisatrice se rend en Iran « avec [sa] petite caméra, filmer le quotidien de ces femmes », explique-t-elle. Lorsqu’elle rentre en France, elle envoie ses portraits à l’équipe d’Al Jazeera qui « a changé entre temps » indique-t-elle, et « les nouvelles personnes qui sont tombées sur mes vidéos m’ont dit que ce n’était pas du tout ce qu’ils attendaient et que c’était immontrable sur leur chaîne car il n’y avait pas d’interviews, pas de caméra portée…et après ils ont juste disparu, ils ne m’ont plus répondu ». Avec les vidéos filmées durant son voyage en Iran, Sara Rastegar décide alors de réaliser son propre film documentaire, à sa manière.
Les difficultés de créer un film documentaire qui donne la parole aux femmes en Iran
Lorsqu’elle se retrouve seule en Iran, la réalisatrice demande à des amis et de la famille sur place de lui présenter des personnes, « en fonction des gens dont on me parlait ou qu’on me présentait j’allais les filmer » raconte-t-elle. Les échanges avec les femmes rencontrées duraient plus ou moins longtemps « en général je restais un peu de temps avec elles avant puis je les revoyais après. Toutes les personnes que j’ai filmé ce sont des gens qu’on me présentait dans les campagnes au centre de l’Iran, ou en ville mais ça pouvait aussi être lié à de la famille », précise la réalisatrice.
Le film documentaire est sorti en 2009, l’année où a eu lieu le mouvement vert ayant rassemblé de nombreux·ses iranien·ne·s dans les villes venu·e·s contester les résultats des élections présidentielles. Sara Rastegar explique ainsi les difficultés rencontrées lorsqu’elle a décidé de le sortir : « Quand on fait des films en Iran, qu’on recueille des paroles de femmes qui nous livrent quelque chose sans voile souvent, c’est toujours un peu délicat quand on veut sortir le film et on doit s’assurer que ça ne pose pas de soucis ». Dans un premier temps, les femmes iraniennes filmées sont « plutôt d’accord » concernant leur image et les propos qu’elles tiennent dans le documentaire. Mais en fonction des situations politiques dans le pays, cela peut poser problème pour certaines d’entre elles nous explique la réalisatrice, c’est le cas pour l’une des femmes iraniennes que l’on découvre dans le film : « La peintre que l’on voit dans le documentaire c’était plus compliqué car le fait qu’on la voit sans son voile pouvait lui porter préjudice. […] Donc c’est vrai que ce film a été moins diffusé de manière générale aussi à cause de ça », raconte-t-elle.
La force des femmes iraniennes pour faire bouger la société
Lorsqu’on lui demande ce qui l’a particulièrement marquée pendant la réalisation de son film documentaire, c’est la force dans la volonté de ces femmes iraniennes de résister et de s’exprimer afin de vivre librement explique Sara Rastegar : « Après le film 7 Femmes, disons que ce que j’ai le plus expérimenté, c’est la force des femmes en Iran. Il faut vraiment y être et passer du temps avec elles et voir ce qu’elles font au quotidien pour le saisir à ce point. ». Depuis la Révolution islamique de 1979 et l’instauration d’une république islamique en Iran, les femmes « vivent dans un régime oppressif où elles comptent la moitié d’un homme. Toute la société est basée pour les annuler et en même temps elles sont hyper actives, elles veulent travailler, elles sont actives professionnellement » nous confie la réalisatrice. « Elles ont une espèce de force, de puissance en elles pour faire bouger les choses. […] Elles ne se font pas du tout marcher sur les pieds, du coup elles ont développé cette mentalité de guerrière et c’est vraiment fort. Tout ça je l’ai vraiment ressenti un étant là-bas », poursuit-t-elle.
L’omniprésence de l’art dans le documentaire
Tout au long du film, l’art est à plusieurs reprises utilisé comme un acte de résistance, d’expression ou un simple espace de liberté pour les femmes présentées dans le documentaire. Ce rapport à l’art comme moyen de lutte contre l’oppression en Iran est ancré dans l’histoire du pays depuis plusieurs siècles explique la cinéaste : « Au-delà des femmes artistes que l’on voit dans le documentaire, l’art est omniprésent en Iran et c’est assez fascinant. On a des grands poètes qui déjà aux Xème, XIème, XIIème siècles et au moment des invasions arabes, utilisaient l’art comme une arme de résistance, de lutte, qu’il s’agisse de la poésie du chant et des textes à double sens, ce qui fait tout le charme et la puissance de la littérature persane. » La culture iranienne s’est créée par moment en réponse à des interdits imposés par le régime politique en place au cours de l’Histoire raconte-t-elle : « Ancestralement, c’est une culture qui s’est développée par le détournement de l’interdit et à la base c’est une culture de la beauté, de l’ivresse, de la vie avec une forte philosophie de carpe diem qui est toujours très présente aujourd’hui », explique Sara Rastegar avant de conclure : « l’art fait partie de leur quotidien parce que c’est un outil de résistance et de respiration, c’est une manière de s’ouvrir, c’est la liberté puisqu’on peut tout dire avec l’art. »