Le soleil brille quai des Antilles. Un homme est accoudé à la rambarde qui longe les anneaux de Buren. Sa carrure est imposante, il fume le cigare une casquette vissée sur la tête et m’accueille en me serrant la main d’une poigne ferme. Il a le sourire au bord des lèvres et sa voix est rauque et grave.
Fragil : Bienvenue à Nantes. Etiez-vous déjà venu ici ?
Sugaray Rayford : Oui, j’adore Nantes ! Je crois que c’est la cinquième fois que je viens ici. J’adore la mixité qu’on peut y voir dans la rue, j’adore l’ambiance dans la ville. Il y a deux villes que j’adore en France, Nantes et Bordeaux. Mais je crois que c’est Nantes que je préfère ! (il éclate de rire)
Fragil : Malgré le passé de la ville et son histoire avec l’esclavage ?
SR : (il rit) Le passé c’est le passé. Il faut le laisser là où il est. Si tu me dis que j’ai moyen de remonter dans l’histoire et de supprimer la période de l’esclavage, je le fais tout de suite. Mais aujourd’hui, je n’ai pas d’autre choix que d’accepter et cette histoire fait entièrement partie de moi. C’est devenu mon histoire. Sans l’esclavage, je ne serais sûrement pas avec toi ici.
Fragil : D’après ce que j’ai lu, vous avez commencé à jouer de la musique à 7 ans dans une église…
SR : En réalité, j’ai commencé à chanter et à jouer de la batterie dans une église à l’âge de 5 ans.
Fragil : D’accord. À cet âge, quelles étaient vos influences musicales ? Par qui étiez-vous inspiré ?
SR : Par ma mère ! C’est la meilleure chanteuse que j’ai eu la chance d’écouter. Avec mes frères, on l’admirait et on essayait de l’imiter. Dans ces moments-là, elle me regardait en souriant et me disait : « Toi, tu n’es pas mon fils ! Tu ne peux pas être mon fils et chanter et danser comme ça ! » (il éclate de rire). Ensuite, en grandissant, j’ai beaucoup été influencé par James Brown, Prince et Mickael Jackson.
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« Je ne me contente pas de les chanter, je préfère mes les approprier et les interpréter à ma manière. »
Fragil : « The world that we live in » est votre 4eme album. Vous l’avez enregistré en Italie avec Lucas Sapio. Comment avez-vous travaillé avec lui ?
SR : Il m’avait vu en concert lors de mes précédentes tournées en Europe. En rentrant chez lui, il a écrit plusieurs chansons en pensant me les proposer. C’est ce qu’il a fait en contactant mon producteur qui a trouvé les paroles très intéressantes et connaissait le travail de Lucas. Il m’a proposé d’aller travailler avec lui en Italie. J’ai été surpris. Mais après un seul échange de mail avec Lucas, j’y suis allé. Et j’ai kiffé ! Les morceaux étaient très beaux. Sur l’album, je ne me contente pas de les chanter, je préfère me les approprier et les interpréter à ma manière. D’ailleurs quand on a fini l’enregistrement de l’album, j’ai tellement aimé « The world that we live in » que je leur ai dit qu’il fallait que ce soit le nom de l’album. Parce qu’ils avaient prévu de le nommer « Take me back », du nom d’une autre chanson. Mais je leur ai dit qu’il me semblait plus judicieux de l’appeler « The world that we live in ».
« C’est le bordel ! Le monde est à l’envers… »
Fragil : Et justement, dans quel monde vit-on ?
SR : C’est le bordel ! Le monde est à l’envers. Selon moi, le problème vient du fait que les gens ne s’intéressent pas à l’histoire. Parce que malgré les deux guerres mondiales, on voit les extrêmes resurgir aux quatre coins du monde. Que ce soit chez moi aux Etats-Unis, mais ici aussi en Europe, en Allemagne, en France. Je pensais que les gens avaient retenu la leçon. Mais il n’en est rien. Chez nous, Trump est fou. Il ne représente pas la majorité des Américains. Quelques semaines avant les élections, je ne croyais pas ce désastre possible. C’est aujourd’hui une réalité et j’ai dû m’y faire.
Fragil : Gardez-vous un brin d’optimisme ?
SR : Oui, je suis profondément optimiste. J’ai bien sûr mes moments de petite dépression comme tout le monde, mais au fond de moi, je reste optimiste. Parce que je sais que si un jour n’est pas bon, le lendemain offrira plus d’opportunité. Je viens d’une famille très pauvre du sud des États-Unis, du Texas. J’ai connu la misère et je n’oublie jamais d’où je viens. Je peux être au fond du trou un jour et gagner au loto le lendemain. Personne ne sait de quoi demain sera fait. Moi, j’ai choisi d’y aller gaiement.
« Chaque soir, c’est un nouveau concert que nous jouons. Je n’ai pas de set list… »
Fragil : Que ressentez-vous quelques minutes avant de monter sur scène ?
SR : je suis toujours très nerveux. Toujours. C’est d’ailleurs pour ça que je ne mange jamais avant les concerts. De peur de vomir. Mais cette nervosité est une bonne énergie. Le jour où je ne serai pas nerveux, il faudra que j’arrête la scène. Parce que chaque soir, c’est un concert nouveau que nous jouons. Je n’ai pas de set list, c’est donc sur scène que je choisis les morceaux que nous jouons. Ça dépend toujours de l’énergie du public.
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Quelques minutes plus tard, je retrouve Sugaray et son groupe sur scène. Le public est au rendez-vous, varié et bigarré. L’artiste attend que tout le monde soit bien entré dans la salle avant de commencer son show. En patientant, il fait le pitre avec les spectateurs situés devant la scène.
Dès les premières notes, le groupe met le feu. Porté par la section de cuivre d’Amy Winehouse, une batterie énergisante, un clavieriste issu des Depp Purple, une guitare aux riffs endiablés et une choriste à la voix d’or, Sugaray envoie du blues et de la soul grâce à sa voix puissante et rauque. Bien qu’elle rappelle James Brown, Otis Redding, BB King et Barry White, elle est unique, un pur produit texan. Visiblement heureux sur scène, Sugaray dandine, bouge son corps et met régulièrement en avant ses musiciens pour de longs solos enflammés.
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Après la dernière note de chaque chanson, il profite des interludes pour exhorter le public à bouger et répète à qui veut l’entendre que « Tonight, it’s a party ! ». L’embrasement est immédiat !
Une fois achevé ce set totalement improvisé, il conclut sa furieuse prestation en remerciant ses musiciens et le public de venir partager ces moments de bonheur musical en sa compagnie. Bonheur à retrouver sur le dernier album de Sugaray Rayford « The world that we live in ».
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