D’un label à un autre
par Julien Courquin, Murailles Music (tourneur de Stranded Horse)
Mon premier souvenir lié à Talitres ? C’est une question difficile. Je connaissais le label avant de travailler avec Sean, il y a 10 ans maintenant. Le premier album de Stranded Horse (Churning Strides, 2007, ndlr), le projet de Yann Tambour, est sorti sur Talitres. Il a commencé en tant que Encre, un projet qui n’avait rien à voir.
Talitres est un label très productif avec environ 80 références, c’est donc difficile de retenir seulement un disque. Un disque qui serait représentatif de l’esthétique Talitres, c’est Lantern, de Clogs, qui est un super beau disque.
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Sean est un esthète, et l’esthétique de Talitres rappelle celle du label 4AD, c’est-à-dire celle d’une pop épurée, d’un style limpide, clair…Un label c’est avant tout une direction artistique, où il faut être à la fois passionné et créer quelque chose de cohérent. Pour Murailles, qui a une activité de label depuis 2011, je n’ai pas été influencé par Talitres, car en tant que directeur artistique il est difficile de s’influencer les uns les autres, et j’avais déjà une activité au préalable sur Nantes (au sein du collectif Effervescence, ndlr). C’est plus en termes de conseils techniques ou de modèle économique que j’ai été influencé. Sur comment on arrive à être toujours là aujourd’hui, ce qui est hyper difficile. On échange sur le marché et l’économie, d’autant plus car la part administrative est beaucoup plus lourde en France qu’en Angleterre ou dans d’autres pays européens. On partage les mêmes contraintes, c’est-à-dire que l’on passe beaucoup de temps à rendre des comptes à l’administration et qu’à force on peut perdre en résistance et en passion.
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Il est certain qu’il y a peu de labels stables, résistants, et actifs qui durent en France, comme Talitres. C’est tout à l’honneur de Sean de faire perdurer le label. Sean est quelqu’un de très droit, qui n’abuse pas de tout un montage opportuniste pour développer un artiste. Il ne triche pas, et défend un artiste avec ses propres armes, en donnant la vérité sur ce qu’il vaut vraiment. Il y a quelque chose de très familial et presque de paternaliste, dans le bon sens du terme.
The National
par Vincent Dupas, My Name is Nobody
The National, je n’ai pas tout de suite compris. Mon frère les a vus à Zagreb lors de leur première tournée européenne (période Talitres). Il m’avait hautement parlé de leur performance et offert leur album, que j’apprécie, comme transfuge de Smog et aux meilleurs moments de Herman Düne… Je les vois un peu plus tard à la Route du Rock, une autre fois je ne sais où, et garde un souvenir médiocre, voire ennuyeux. Je les mets donc de côté. En 2008, je les vois au festival All Tomorrows Parties en Angleterre, et me rends compte du phénomène. Le concert est impressionnant, la voix calme et grave perce le magma sonore, la batterie est puissante, les morceaux héroïques. Le lien avec les fans est aussi très fort, encore plus fort quand en tournée avec Dark Dark Dark nous jouons deux fois avec eux à Lisbonne et Porto. Les concerts sont hystériques, le public chante tous les morceaux, Berninger va plusieurs fois dans la fosse. Ils finissent par un morceau totalement acoustique, c’est émouvant.
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À l’époque, je reste longtemps bloqué sur le morceau Bloodbuzz Ohio. Le groupe n’était plus sur Talitres depuis un moment, mais quel nez de les avoir signés si tôt. Et à parler du label, je citerai les beaux disques de Stranded Horse et Emily Jane White.
Stranded Horse
par Romain Lallement, Lenparrot
J’ai toujours eu de l’admiration pour le travail de Yann Tambour. Adolescent, j’ai été marqué par son album Flux – quand son alias était encore Encre. Cette pop froide et électronique avec des cordes, sur laquelle étaient susurrées des frasques angoissées m’envoûtait totalement. Je restais tout le long de l’album à contempler sa pochette hallucinée où l’on découvrait un corps mutant, impossible. En arrivant à Nantes, j’avais lu que c’était désormais sous le nom de Thee, Stranded Horse que se produisait ce jeune homme – accompagné d’un instrument traditionnel malien: la kora (le dernier EP d’Encre portait d’ailleurs ce nom). J’avais alors assisté à un instant hors du temps: un concert dans la tour du Lieu Unique où, perché du haut de l’escalier, ses mélodies remplissaient l’espace. C’est d’ailleurs ce soir-là que j’avais découvert Tyrannosaurus Rex grâce à sa reprise de Misty Mist. J’écoute toujours ses sorties – qu’il soit seul, accompagné de Carla Pallone, Ballake Sissoko ou Éloïse Decazes – son écriture est reconnaissable dès les premières notes, et me charme encore aujourd’hui.
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The Organ
par Loïc Le Cam, Bantam Lyons
J’ai découvert Talitres grâce à Grab That Gun de The Organ, un groupe canadien. J’avoue ne plus me rappeler comment, à 14 ans, je suis tombé sur cet album, mais il a pas mal compté dans mon adolescence. Il y a notamment une phrase dans Brother qui m’avait marqué : « Here is the best part of the song, where I admit that I might be wrong ». Il y a quelque chose dans cette phrase et dans la manière dont Katie Sketch la chante qui est troublant, désarmant d’honnêteté. Ça situe assez bien le ton du disque. La musique est froide, mécanique et pourtant, parfois, une phrase ou un bout de mélodie très touchant surgit et on ne sait plus sur quel pied danser. Elles n’ont jamais sorti de deuxième album, ce qui rend Grab That Gun encore plus singulier. Ses défauts, jamais corrigés ou mis en perspective, sont devenus par la force des choses autant de charmes.
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Motorama et Utro
par Kévin Lemoine, programmateur radio à Prun’
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Rostov-sur-le-Don. Avec un nom pareil, on peut facilement croire que cette ville russe de plus d’un million d’habitants est française. Marsac-sur-Don en Loire-Atlantique ? Aucun lien. Située à quelques 1000 kilomètres au Sud de Moscou, Rostov-sur-le-Don est la ville portuaire qui a vu naître et grandir les cinq musiciens de Motorama. Depuis 2005, ils distillent une musique pop assez sombre, avec pas moins d’une petite dizaine de disques entre EP, LP et singles. Au fur et à mesure des tournées quasi mondiales, le projet Motorama a su travailler ses sonorités et ainsi revendiquer une musique post punk aux accents cold wave. Adepte du do it yourself depuis toujours, ils ont sorti leurs premiers opus en autoproduction. C’est en 2012 qu’ils rejoignent le label indépendant Talitres. L’histoire veut que c’est le film Motorama (1991) qui a inspiré le nom du groupe. Il relate alors le périple d’un jeune Américain en quête des huit cartes Motorama, permettant de récolter un pactole de 500 millions de dollars.
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Mais ce n’est visiblement pas par appât du gain que nos protagonistes ont décidé de fonder Utro, projet parallèle plus sombre que d’ordinaire, et assumé puisque chanté en russe. Et à en croire le leader Vladislav Parshin, qui dit posséder « un stock assez conséquent de démos obscures et atmosphériques, qui ne correspondaient plus à l’orientation esthétique prise par Motorama », c’est purement artistique. En effet. Avec Utro, УТРО en alphabet cyrillique, on cherche le côté pop, mélancolique et parfois tendre auquel Motorama nous a habitués. C’est sombre, oppressant, étrange et joli à la fois. Ce disque ovni dans le catalogue du label est loin d’être non identifié : c’est bel et bien un objet volant.
Merci à Julien Courquin, Kévin Lemoine, Vincent Dupas, Loïc Le Cam et Romain Lallement pour leurs témoignages.
Stranded Horse sera en concert le 6 janvier au lieu unique à Nantes
A lire également dans Fragil : l’interview de Sean Bouchard.