26 novembre 2018

Tanguy Malik Bordage, l’intempérant

Peu de metteurs en scène communiquent le besoin et la sensation de toucher au vif de l'existence. C'est que le geste, car c'en est un, de l'auteur de Tourista est de rendre par le théâtre la vie jusque dans ses moindres formes. Pour sa deuxième pièce, Tanguy se jette et nous plonge dans sa poésie abyssale retrouvant tous ses héros disparus.

Tanguy Malik Bordage, l’intempérant

26 Nov 2018

Peu de metteurs en scène communiquent le besoin et la sensation de toucher au vif de l'existence. C'est que le geste, car c'en est un, de l'auteur de Tourista est de rendre par le théâtre la vie jusque dans ses moindres formes. Pour sa deuxième pièce, Tanguy se jette et nous plonge dans sa poésie abyssale retrouvant tous ses héros disparus.

Quand on regarde Tourista, il y a ce moment où l’on est saisi d’une écriture aimantant les choses de la vie, puis la perception d’une voix entêtée à chercher les issues d’un monde hors de soi, où on est sur le seuil de faire le premier les premiers pas. Sans cela, sans cet attachement à l’issue ou aux confrontations intimes, nous spectateurs n’aurions plus le courage de regarder, nous ne passerions pas le teaser, plus une histoire ne se conterait sur les lèvres.

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Le chemin vers l’autre quoi qu’il en coûte, peu importe les fracas, nous agrippe pour ne plus nous lâcher. Il est une chose de se mettre à nu, il en est forcément une autre de savoir quelle partie du corps humain nous dévoilons et jusqu’où nous retirons nos couches de protection. Ici, Tanguy choisit de laisser apparaître ses fibres musculaires ou ses myocytes qui sont les cellules permettant aux muscles la contraction.

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Après Projet Loup des Steppes (sa première mise en scène), Tourista se « plante » dans un décor de toilettes publiques, donnant une double casquette au projet. D’abord la métaphore de la maladie du voyageur ou de la « purge » obligatoire, ensuite un lieu commun et accessible. Nous regardons des fragments d’une vie, où l’on se serre dans les bras, on se dit notre amour, on se quitte, on se meurt, on bavarde, on refuse, on chante, on incarne, on se débecte, on pleure, on tue.

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En se plaçant acteur et dans l’espace spectateur, Tanguy nous inclut dans la dramaturgie et nous rend tous les témoins des scènes qui déferlent. Le rythme est vif et les farces s’enchaînent, Tourista est joué par des actrices et des acteurs que l’audace n’a pas oubliée. Eux aussi s’abandonnent et lâchent leurs politesses pour la sincérité et la fragilité. Leurs gestes s’évertuent à dire ce qu’ils pensent, et taire ce qu’ils ne penseraient pas. J’espère que tous en sortent soulagés.

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La rhétorique est critiqué et toute l’équipe vient accuser les discours trop ambitieux, ou volontaristes, toute l’hypocrisie des tyrans et des pervers narcissiques. Je reprends la citation de la feuille de salle :

« Les hommes de bonnes volontés ne devraient pas avoir de formules car les formules ne mènent, inévitablement, qu’à penser aveuglément. » Krishnamurti

Le point moteur pour ce spectacle est peut-être l’incommensurable volonté de parler, encore parler, après le vertige et la solitude. Pour que dans la frénésie de cet acte surgisse un ailleurs inconscient de la maitrise de l’homme, sans logique a priori. C’est en quelque sorte l’accumulation de gestes et de mots mis dans un ordre personnel qui donnera le sens à la fin, ou pas le sens, mais qu’importe, car la volonté est de ne plus chercher à analyser, mais plutôt à être ensemble.

 

Photo de tête : ©Adeline Moreau

C'est un exercice pour chercher à mieux me connaître, n'en doutez pas, ce que je propose m'est plus destiné, mais le jour où vous souhaitez que l'on dîne ensemble, j'aurais réussi mon pari.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017