Tannhäuser, tel qu’on le joue traditionnellement, a été créé en allemand, à Dresde en 1845. Pour sa version française, destinée à l’Opéra de Paris, qui se trouvait en 1861 Salle Le Pelletier, Richard Wagner apporta quelques modifications. Mais sa nouvelle proposition fit scandale, et ne connut pas de reprises ensuite, malgré l’enthousiasme de Charles Baudelaire qui en écrivit l’éloge dans la revue européenne d’avril 1861. Le poète voyait certainement, dans cette nouvelle synthèse entre la musique de Wagner et les mots en français, quelque chose de cet art total qui lui était si précieux. Jean-Louis Grinda, dans sa mise en scène présentée à Monte-Carlo, est parvenu à une fascinante fusion entre le texte, le jeu, les couleurs et la partition, grâce aussi à la direction passionnée de Nathalie Stutzmann, et à une distribution flamboyante
Entre fuite et errance
Le spectacle commence sur une forêt sombre et impénétrable, sorte de paysage intérieur, qui reflète les abîmes que dessine l’ouverture. Tannhäuser, chevalier, poète et musicien, a fui la cour du Landgrave de Thuringe, et vit désormais auprès de la déesse Vénus. Pour cet acte du Venusberg (la montagne de Vénus), les arbres s’embrasent de couleurs vives et changeantes. Charles Baudelaire, dans une lettre qu’il avait écrite en 1860 à Richard Wagner, expliquait les couleurs qu’il voyait sur la musique.
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« Je suppose devant mes yeux une vaste étendue de rouge sombre. Si ce rouge représente la passion, je le vois arriver graduellement, par toutes les transitions de rouge et de rose, à l’incandescence de la fournaise ». Le début du spectacle de Jean-Louis Grinda, soutenu par les décors enchanteurs et les lumières irréelles de Laurent Castaingt, repose sur de telles correspondances, où les accords explosent en des teintes pleines d’éclat.
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Vénus, comme ses suivantes, portent des robes à paillettes argentées, ce qui accentue leur côté onirique. La Mezzo-Soprano, Aude Extrémo, apporte à la déesse une présence intense et quelques beaux graves, dans un chant plein de nuances. Le duo de Vénus et de Tannhäuser est porté par la fièvre ; la création de Tristan et Iseult (1865) n’est pas si loin. Mais le chevalier s’ennuie dans ce séjour des dieux, même si on tente de le retenir, et il souhaite retourner chez les siens.
[aesop_quote type= »pull » background= »#282828″ text= »#FFFFFF » align= »left » size= »1″ quote= »On passe d’un lieu à l’autre grâce aux belles images vidéo de Gabriel Grinda, dont le mouvement prolonge la musique, en un superbe témoignage d’art total » parallax= »off » direction= »left » revealfx= »off »]
Celui qui offrait un chant plein de ferveur à Vénus, dans la scène précédente, arrive aux portes de la forteresse du Landgrave. On passe d’un lieu à l’autre grâce aux belles images vidéo de Gabriel Grinda, dont le mouvement prolonge la musique, en un superbe témoignage d’art total. Un pâtre s’exalte de l’arrivée du printemps, dans un moment de grâce auquel Anaïs Constans donne des aigus envoûtants. Cette magnifique artiste était tourbillonnante en Diane d’Orphée aux enfers, en décembre à Angers Nantes Opéra. Elle incarnait, de sa voix aérienne, Nanetta de Falstaff au festival de Saint-Céré, où l’ouvrage de Verdi, dans la mise en scène d’Olivier Desbordes, était également représenté dans une version en français, assumée par le compositeur.
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Troublé par cette expression d’un renouveau, Tannhäuser retrouve ses anciens compagnons qui parviennent à l’attirer à eux par le prénom d’Elizabeth, qui éclot sur des accords d’une grande pureté. Déchiré entre deux figures féminines contradictoires, le chevalier, dans ses égarements, évoque un autre personnage wagnérien, celui du Hollandais volant du Vaisseau fantôme, qui est condamné à errer éternellement sur les flots, dans l’attente improbable d’être sauvé par une femme : le thème de la rédemption est central chez Wagner.
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Au troisième acte, le poète musicien a été exclu par les siens, malgré un vibrant plaidoyer d’Elisabeth. Rongé par la culpabilité, il rentre d’un pèlerinage à Rome où tout pardon lui a été refusé. Il est à bout de forces, rattrapé par tous ses paradoxes. L’illustre José Cura offre au rôle-titre son timbre éclatant de ténor lyrique. Il explore de manière poignante les gouffres que le personnage porte en lui, et la fin est particulièrement bouleversante. Il reviendra à l’Opéra de Monte-Carlo la saison prochaine, dans une autre figure de bouc émissaire, en Peter Grimes de Benjamin Britten, dont il signera aussi la mise en scène. La trajectoire de Tannhäuser, entre fascination et rejet, est une puissante métaphore de l’artiste.
Quête artistique et spirituelle
Elizabeth et Tannhäuser se retrouvent dans la salle où doit avoir lieu un concours de chant, au deuxième acte. Ils s’avouent un amour réciproque. La cour du Landgrave de Thuringe respecte des règles esthétiques très strictes, qui ne sont pas sans rappeler celles de la confrérie des Maîtres chanteurs de Nuremberg dans un autre opéra de Wagner (1867).
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L’image projetée de la voûte d’un sanctuaire apporte un caractère sacré à l’épreuve de chant, tandis que les chœurs, merveilleusement dirigés par Stefano Visconti, sont d’une impressionnante plénitude qui donne un sentiment de grandeur. À l’intérieur d’une dramaturgie très ritualisée, Tannhäuser, ensorcelé par le souvenir de Vénus, sème le désordre en tournant en dérision les discours amoureux que chantent les différents concurrents. Ses mots résonnent comme une profanation. Tous se jettent sur lui, mais Elizabeth prend sa défense. Elle s’interpose une arme à la main, ce qui exacerbe sa détermination. Annemarie Kremer construit cette figure sans concession par des accents émouvants de sincérité, dans un chant puissant, aux riches nuances.
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Sa prière du troisième acte est d’une troublante beauté, qui attire les larmes. La religion médiévale, avec ses cortèges de pénitents, occupe une place importante dans cet opéra ; le chevalier poète est contraint de partir une nouvelle fois pour obtenir le pardon du Pape à Rome.
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La quête esthétique se dessine aussi dans la partition, qui explore des cheminements intérieurs. Elle annonce Parsifal, autre chef d’œuvre du compositeur (1882), qui illustre également un combat entre la chair et l’esprit, transfiguré par la foi. Le livret de cette version de Paris a été traduit en français par Charles Nuitter (1828-1899). Il donne à la musique de Wagner d’autres couleurs et de nouvelles sonorités, tout en conservant sa démesure, dans des accords qui s’envolent et des leitmotivs obsédants. Nathalie Stutzmann, sublime contralto aux graves stupéfiants, dirige l’orchestre philharmonique de Monte-Carlo. Sous sa baguette, elle avait conduit un concert Mahler et Wagner à Dublin, en février 2016, où il y avait déjà l’ouverture de Tannhäuser. On doit à cette grande artiste un mémorable enregistrement paru en CD chez RCA, où elle chante des pièces de Wagner et de Liszt, Concert in Villa Wahnfried. Il y a, chez Nathalie Stutzmann, un vrai bonheur de diriger. On la sent portée par la musique, qu’elle sert avec une énergie communicative, où chef et chanteuse se rejoignent. Sculptant des sonorités envoûtantes, elle accompagne les musiciens vers des sommets d’incandescence.
[aesop_image imgwidth= »1024px » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2017/06/unnamed3.jpg » credit= »Alain Hanel » align= »center » lightbox= »on » caption= »Le décor représente un paysage glacé. » captionposition= »center » revealfx= »off »]
Le troisième acte atteint des paroxysmes. Le décor représente un paysage glacé, avec de la neige qui tombe à l’arrière plan. Elizabeth s’inquiète de ne pas voir revenir Tannhäuser. Wolfram, l’un des chevaliers, est présent à ses côtés, l’aimant d’un amour impossible. C’est l’une des figures les plus attachantes de l’opéra. Il fait, au fil des scènes, l’apprentissage du renoncement. Sa pénétrante romance à l’étoile est une poétique prière, adressée dans l’espoir de sauver celle qui lui est désormais inatteignable. Jean-François Lapointe, inoubliable Golaud du Pelléas et Mélisande d’Angers Nantes Opéra, apporte à ce beau personnage une interprétation pleine de vérité, par un timbre d’une miraculeuse profondeur.
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La figure de la Vierge Marie, en opposition à Vénus, paraît dans des moments importants. C’est à elle qu’Elizabeth s’adresse, pour demander à mourir, dans la conviction de délivrer celui qu’elle attend dans l’angoisse. Son sacrifice rappelle celui de Senta du Vaisseau fantôme, qui se jette dans les flots pour que cesse la malédiction du hollandais volant.
[aesop_quote type= »pull » background= »#282828″ text= »#FFFFFF » align= »left » size= »1″ quote= »La musique déborde d’intensité dans l’expression d’une paix retrouvée et d’un idéal accompli » parallax= »off » direction= »left » revealfx= »off »]
C’est en voyant le cortège funèbre de celle qu’il n’a jamais cessé d’aimer, que Tannhäuser, de retour de Rome et complètement anéanti, s’effondre mort, après une ultime prière. La musique déborde d’intensité dans l’expression d’une paix retrouvée et d’un idéal accompli. Wolfram, d’un pas hésitant, suit les compagnes de Vénus, vers l’éclat illusoire de leurs paillettes d’argent.
L’Opéra de Monte-Carlo a offert un spectacle qui marque. La saison prochaine s’annonce aussi exaltante que celle qui vient de s’achever. En dehors de Peter Grimes de Britten, dont ce sera la première monégasque et qui nous promet un choc, en février, des artistes éblouissants se produiront salle Garnier, et en particulier Cecilia Bartoli dans La Cenerentola de Rossini à l’automne, puis Juan Diego Florez et Nicolas Courjal dans les rôles principaux des contes d’Hoffmann d’Offenbach en janvier. L’assurance d’émotions inouïes!
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Photo de couverture prise par Alexandre Calleau: La façade du Casino de Monte-Carlo, à l’intérieur duquel se trouve l’Opéra, construit par Charles Garnier en 1879.