L’illustre famille d’actrices et de musiciens de Tatiana Probst a inspiré une merveilleuse sensibilité qu’elle exprime dans le chant comme dans ses compositions, où les mots se mêlent à la musique, prolongeant un débat familial. Sa mère, Catherine Chevallier, n’est-elle pas actrice et son père Dominique Probst, compositeur ? La grand-mère de Tatiana Probst était la superbe comédienne Gisèle Casadesus, mais on trouve aussi, dans cette filiation géniale, ses tantes, les actrices Martine Chevallier et Martine Pascal, et son oncle, le chef d’orchestre Jean-Claude Casadesus. Ces artistes fabuleux ne sont-ils pas à l’origine du credo de celle qui s’affirme dans une même passion compositrice et chanteuse lyrique ?
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« …je me revois, enfant, jouant des accords au piano pour que mon père, qui est compositeur, les retranscrive sur une partition. »
Fragil : Comment articulez-vous les deux arts du chant et de la composition ?
Tatiana Probst : L’interprétation m’a toujours été essentielle, dès mon premier coup de cœur pour le piano. Je souhaitais alors devenir cheffe d’orchestre, le chant s’affirmant une révélation plus tardive malgré mon entrée à la maîtrise de Radio France à l’âge de neuf ans. C’est à mes seize ans cependant que j’ai ressenti la nécessité, durant un concert de la maîtrise dans une église du sud de la France, de m’extraire du chœur pour devenir soliste. La rencontre avec ma professeure de chant Mireille Alcantara, avec qui je travaille toujours aujourd’hui, a été déterminante. J’ai en effet réalisé que j’avais tout à apprendre malgré mes années passées dans les chœurs, découvrant la technique vocale, qui reste une passion absolue. Dans le même temps, la composition représentait une évidence, et je me revois, enfant, jouant des accords au piano pour que mon père, qui est compositeur, les retranscrive sur une partition. Ces deux arts sont donc pour moi complètement indissociables.
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« …revendiquant une musique «non genrée»… »
Fragil : Quel idéal cherchez-vous à atteindre dans vos partitions ?
Tatiana Probst : Je m’efforce avant tout d’être au plus près de ce qui m’anime au moment où j’écris, en fonction du thème choisi, éprouvant souvent le sentiment d’être guidée. S’il s’agit d’une commande, les contraintes n’empêchent pas à mon imaginaire de prendre son envol. Il m’arrive parfois d’éprouver une certaine angoisse car, ne composant pas tout le temps, il me faut retrouver l’entraînement afin que tout devienne fluide, telle une force se mettant en route. Je me mets alors à l’écoute de cette liberté m’inspirant à ce moment-là, pour être moi-même par-delà tout courant, revendiquant une musique «non genrée» mais nourrie de lyrisme et d’émotion, où tout n’est que mouvement.
Fragil : Quelles places les mots occupent-ils dans vos compositions ?
Tatiana Probst : J’adore la langue française, le rythme de chaque mot constituant pour moi la première musique. Petit à petit, j’ai composé sur mes textes ou simplement sur un titre, explorant des sons indicibles dans une véritable symbiose.
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« J’ai conçu cette œuvre comme un Lied orchestral… »
Fragil : Votre création pour voix et orchestre, Les ans volés, a été jouée Salle Gaveau le 14 octobre 2017. Quelles traces cette œuvre vous a-t-elle laissées et de quelle manière écrivez-vous pour la voix en tant que chanteuse ?
Tatiana Probst : Cette commande de l’Orchestre Pasdeloup, en ouverture d’une saison dont j’ai joué avec le titre, Les envolées, est extrêmement importante dans mon parcours. Il s’agissait d’une œuvre pour orchestre, impliquant, par son côté titanesque, une grande responsabilité. Ayant composé une première symphonie auparavant, on m’a laissée libre de mes choix, le symphonique restant mon premier amour. J’ai conçu cette œuvre comme un Lied orchestral, dont la tonalité reste assez sombre même si l’envolée finale lance un appel de paix, sur les mots «Je veux jouir d’un monde apaisé» ou l’ultime phrase, «Si l’on changeait simplement d’ère». De plus, j’étais créatrice de mon œuvre pour la partie chantée. Composer pour la voix peut faire peur, mais c’est malgré tout ce que je préfère. Il m’arrive de placer quelques difficultés, l’élan de compositrice prenant le dessus sur l’interprète, ce qui peut amener une légère lutte entre ce que je souhaite entendre et l’aspect technique, mais ce n’est pas inchantable. Je ne vois pas l’intérêt de malmener une voix, privilégiant le plaisir du chant.
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« …j’ai détourné le nom de cet animal singulier vers le signe que l’on attendait. »
Fragil : Votre partition L’orbe des cygnes va être exécutée par l’Orchestre National des Pays de la Loire (ONPL) le 20 octobre au Théâtre Graslin de Nantes, et le 21 octobre 2023 au Grand Théâtre d’Angers. Comment la présenteriez-vous ?
Tatiana Probst : Il s’agit d’une commande de l’Orchestre Colonne, autour de l’image du Cygne de Saint-Saëns (treizième mouvement du Carnaval des animaux). J’ai adoré imaginer une partition sur cet animal noble, à partir d’un texte, aux nombreux jeux de mots, que j’ai écrit. J’aime cette lenteur du cygne glissant sur l’eau, d’où s’est imposé un hommage aux artistes, après le confinement. En reprenant la question d’alors, sur le caractère essentiel ou non-essentiel de l’artiste, j’ai détourné le nom de cet animal singulier vers le signe que l’on attendait. Le calme de l’eau représente un plateau aux mouvements imperceptibles mais indispensables, la pureté de l’animal rejoignant celle de l’élan artistique, et la plume traçant une «cygnature».
« …j’ai toutefois pu effectuer un coming-out musical… »
Fragil : Que représente pour vous votre enregistrement CD, The Matter of Time Project, et en quoi la voix parlée y est-elle essentielle ?
Tatiana Probst : Ce projet a pris du temps. Il est en effet difficile de prendre les choses en main pour soi-même, mais il a été porté par Flavien Pierson, directeur du label Continuo Classics, qui m’a accordé toute sa confiance en produisant ce disque. L’idée est née il y a cinq ans, ce temps de réflexion et de maturité prenant aujourd’hui beaucoup de sens. Dans le milieu du lyrique en effet, on ne comprend pas que l’on puisse être autre chose qu’une chanteuse, alors que pour moi, il s’agit, que je chante ou que je compose, d’une démarche artistique d’interprétation. Pauline Viardot a pourtant elle-même été reconnue sur les deux plans à son époque. J’ai donc dû cloisonner mes deux activités pour me protéger, mais j’ai toutefois pu effectuer un coming-out musical grâce à Isabelle Gillouard, directrice d’une agence de communication spécialisée dans la musique classique, qui m’a permis de faire un entretien reconnaissant ma nature profonde, avec Gabrielle Oliveira Guyon, journaliste sur France-Musique, sur une Newsletter largement diffusée. Le moment était opportun et je respire désormais beaucoup mieux, me sentant décomplexée dans ma véritable identité. Les voix parlées de cet enregistrement sont essentiellement celles de comédiennes de ma famille, dont Catherine Chevallier, ma mère, Gisèle Casadesus, ma grand-mère, et ma sœur Barbara, qui est pour moi très importante car nous avons cheminé ensemble. Nous portons tous en nous des voix qui marquent, quatre générations s’enchaînant dans le texte final, qui introduisait ma première symphonie et tout mon discours musical. Cette fusion des mots et de la musique abolit toute frontière entre les arts, résonnant entre eux dans un mouvement perpétuel. La voix de l’actrice Nicole Garcia prolonge D’ombres et de lumière, le disque s’achevant sur un éclat de rire affirmant avant tout la joie.
Fragil : Dans cet enregistrement, la pièce Wotan’s Traümerei propose une série de variations sur L’or du Rhin et La Walkyrie de Richard Wagner. Que représente-t-elle pour vous ?
Tatiana Probst : Je ne suis pas une spécialiste de Wagner, mais je l’admire beaucoup dans son invention d’un art total. Sa musique, que je trouve merveilleuse, me vampirise cependant très vite, me donnant l’impression de devenir folle. Cette partition a été une commande pour un mélomane viennois, Richard Hornig, suggérée en 2012 par Ute Gerzabek, ma professeure de respiration au conservatoire, qui savait que je composais. La contrainte imposée par le destinataire, qui était fou de Wagner, était qu’il puisse la jouer au piano. Je me suis régalée à écrire ce morceau, que je n’ai pas cherché à faire «à la manière de…», mais en introduisant mon imaginaire et ma respiration sur des thèmes connus, comme un rêve autour du personnage de Wotan.
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« Stéphanie-Marie Degand mettait en valeur, dans sa direction musicale, le côté organique de la voix sur scène, et je me réjouis qu’elle dirige L’orbe des cygnes en octobre à Nantes et à Angers. »
Fragil : Vous avez participé, en tant que chanteuse, à la recréation mondiale de La caravane du Caire de Grétry à l’Opéra de Tours en avril 2022. Quel souvenir en gardez-vous ?
Tatiana Probst : Il s’agissait d’un spectacle joyeux, magnifié par la splendeur des décors et le dynamisme de toute l’équipe. Mon rôle était court mais périlleux, avec de nombreuses vocalises pastichant le répertoire italien de l’époque du compositeur. Stéphanie-Marie Degand mettait en valeur, dans sa direction musicale, le côté organique de la voix sur scène, et je me réjouis qu’elle dirige L’orbe des cygnes en octobre à Nantes et à Angers. Mon fils, qui avant trois ans, a assisté plusieurs fois à ce spectacle avec un même plaisir, tout y étant beau et coloré. Il est vrai que l’ensemble de la troupe arrivait heureux à chacune des répétitions, auxquelles le metteur en scène Marshall Pynkoski et la chorégraphe Jeannette Lajeunesse Zingg apportaient beaucoup d’intensité et une belle énergie.
Fragil : Quels ont été vos autres moments marquants sur une scène d’opéra ?
Tatiana Probst : J’ai énormément aimé chanter Micaëla dans Carmen en 2016 avec l’Orchestre Philharmonique du Maroc, un rôle que j’ai l’impression d’avoir dans la peau. Le personnage de Mimi dans La bohème, que j’ai interprété à Levallois, est pour moi une évidence, comme un costume que l’on enfile et qui nous va parfaitement. J’ai pris aussi beaucoup de plaisir à jouer Musette du même opéra, dans une mise en scène de Nadine Duffaut à Reims en 2015.
« Ma première inspiration reste la musique de mon père, et je m’inscris avec joie dans cette quête du beau… »
Fragil : En quoi votre illustre famille de musiciens et d’actrices nourrit-elle votre itinéraire artistique ?
Tatiana Probst : Ce sont des exemples pour moi, tous œuvrant dans un même mouvement en direction de la beauté, en mettant en lumière de façon extraordinaire les textes et la musique. Ma première inspiration reste la musique de mon père, et je m’inscris avec joie dans cette quête du beau, mesurant ma chance d’être plongée dans de telles questions esthétiques, qui m’offrent une pulsion de vie et une grande liberté. Je partage avec les membres de ma famille beaucoup d’amour, dans un élan où nous parlons tous la même langue de l’art.
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« On m’a demandé, pour cette occasion, de chanter Erlkönig de Schubert, qu’interprétait à l’époque Pauline Viardot, qui était elle-même chanteuse-compositrice… »
Fragil : Quels sont les projets qui vous tiennent à cœur ?
Tatiana Probst : En dehors de mon projet au Théâtre Graslin, je prépare un second disque, où je serai à la fois chanteuse et compositrice. Le concert du 28 janvier 2024 auquel je vais participer Salle Gaveau a pour moi beaucoup de sens. À l’occasion des 150 ans de l’Orchestre Colonne en effet, le programme, sous la direction de mon oncle Jean-Claude Casadesus, sera identique à celui de 1873. On m’a demandé, pour cette occasion, de chanter Erlkönig de Schubert, qu’interprétait à l’époque Pauline Viardot, qui était elle-même chanteuse-compositrice…
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Photo de haut de page : « Les ans volés » de Tatiana Probst – Salle Gaveau – Le 14 octobre 2017