En février 2024, l’enquête “L’accès à la formation professionnelle et à l’emploi des 15-26 ans habitant les quartiers prioritaires de la métropole nantaise” sera disponible au format PDF sur le site de Tissé Métisse. Elle s’est déroulée entre mai et juillet 2023 grâce au financement de la Fondation de France et à la collaboration entre l’association et la sociologue Janis Pinçon. Lors du festival, cette dernière et 3 des jeunes interrogé·es dans le cadre de l’enquête étaient présent·es pour échanger avec le public sur la question des discriminations.
Donner la priorité à la parole des concerné·es
Quartiers Nord et leur lisière, Breil, Bellevue, Beaulieu, Malakoff, lisière de la Bottière, Halvêque, Rezé Château : les 25 adolescent·es et jeunes adultes interviewé·es représentent en grande partie les quartiers de la politique de la ville (QPV), soit les zones urbaines les plus pauvres de Nantes. C’est au cœur de ces territoires en situation de fragilité que Janis Pinçon les a rencontré·es pour aborder des sujets comme le parcours scolaire, la recherche de stages et d’alternances, les lettres de motivation, etc.
Comme souligné par la sociologue, l’enquête s’engage à refléter “leur vérité”, c’est-à-dire l’expérience vécue de ces collégien·nes, lycéen·nes, jeunes actif·ves et demandeur·euses d’emploi. Ainsi les discriminations liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre ont peu été abordées lors du recueil de données par rapport aux discriminations sociales et ethnoraciales. Cela ne signifie pas qu’elles n’existent pas, mais simplement qu’elles n’ont pas été mises en avant par les enquêté·es.
“Le doute est inhérent à la réalité de l’expérience sociale quotidienne des jeunes gens rencontrés”
D’après Janis Pinçon, la perception d’inégalités, l’absence de représentation de soi dans l’espace public, les récits d’autrui, les remarques qui génèrent un doute ou encore le soupçon d’avoir été victime de préjugés constituent la réalité d’un grand nombre de jeunes à qui la parole a été donnée au cours de l’enquête.
Pour elle, l’“expérience du doute” est un élément central de cette enquête dite qualitative, car fondée sur des impressions et des opinions plutôt que sur des statistiques. L’experte insiste d’ailleurs sur le fait que les jeunes osent uniquement reconnaître avoir été discriminé·es lorsqu’ils “recensent un nombre suffisant d’indices concordants, des faits réitérés, une intonation, un contexte”.
Dans le cadre de l’orientation scolaire et professionnelle cependant, peu de place est laissée à l’incertitude : “tous les jeunes gens rencontrés, systématiquement […] ont l’impression de devoir faire face à une inégalité de traitement de la part des enseignants en fonction de la performance scolaire produite”. Or, la sociologue rappelle que chacun·e “[a] évolué dans un cadre qui postule que l’école ne produit pas de différences”.
Les témoignages en direct de Mohammed (15 ans), d’Antoine (24 ans) et de Naïs (20 ans) allaient également dans le sens du “sentiment de dévalorisation profond” constaté par Janis Pinçon durant l’enquête. Mohammed a par exemple confié avoir eu rendez-vous avec une conseillère d’orientation en classe de 4e pour discuter de son projet professionnel. Alors qu’il dit souhaiter s’orienter vers l’architecture, il obtient pour seule réponse “un non sec, comme un mur”. Sa moyenne générale est pourtant comprise entre 15 et 16 sur 20. “En rentrant chez moi je me sentais trop nul, comme si je valais rien” a-t-il rapporté lors de la table ronde.
La prise de parole de Naïs a quant à elle permis de mettre en lumière “l’importance [des associations] dans les trajectoires singulières” des jeunes interrogé·es, comme évoqué par la sociologue. Pour celle-ci, le collectif s’impose en définitive comme l’un des meilleurs leviers d’action pour faire face à et lutter contre toutes les formes de discriminations.