Deux barres fixes verticales, du plateau au cintre, noires et bien usées. Pas question de pole dance mais plutôt d’étais de maçon ; deux outils servant à soutenir un planché ou un mur, pour qu’il ne s’écroule pas. Un homme sur scène attend que l’on s’installe puis un autre le rejoint, Tony.
C’est en quelque sorte deux Tony qui sont devant nous, où même un seul Tony qui serait à deux endroits à la fois. Un Gerry de Gus Van Sant mis en théâtre, je veux dire deux hommes dans une dérive. C’est à partir de ce constat que j’ai reçu la pièce. Un retour inventif de la boîte noire, où tout est possible avec de l’imagination et quelques éléments qui nous projettent, tantôt sur un trottoir à bruler des ailes, dans une voiture qui s’autorise tous les freins à mains, devant un étang à camper et parler de là où en sont les Tony et les pourquoi sans réponse, et tantôt dans une toute petite boîte de nuit de village avec les attitudes sauvages qui ressurgissent très facilement en vue de la faim (de sexe).
Deux humains, peut-être Adam et Ève, inséparables, en quête inassouvie de l’autre. Qui sans le savoir vont construire leur monde à force de tourner en rond dans leur univers fantasmé. Le partage des plaisirs constants qui se conduisent en poumons de leurs vies. Des plaisirs sans jouissance. Ils ne se ressemblent pas, deux opposés, ils se suivent, s’accompagnent, et de mon point de vue, leur élan commun a laissé se creuser un écart entre eux pour que chacun se raconte, cherche la jouissance qui fait basculer vers tout autre chose, qui ne tend plus vers la satisfaction ou l’insatisfaction. L’arrivée du théâtre dans sa vie annonce l’un d’eux ; le corps, pseudo corps, l’anti corps, la recherche d’une enveloppe qui nous déplace de la simplicité de parler ensemble. Et l’autre, qui parle moins (parce que ce n’est pas nécessaire), ne quitte jamais son double. Au fur et à mesure de leur errance, la cavale devient laborieuse, les efforts de plus en plus durs, ils creusent leur écart ensemble, ils se creusent, ils étirent la fiction jusqu’à la limite du duo possible. Ils avancent, damnés, vers la contre nostalgie en abandonnant la proximité d’avec le plaisir, en délaissant la sensation, la satisfaction.
« La jouissance fait dériver dans un ailleurs où – de l’autre ne s’y laissant plus assimiler ni non plus opposer – l’écart s’ouvre, enfin donne à découvrir. » (François Jullien ; si près, tout autre ed.Grasset)
Portrait des Tony sujets à l’abandon de leurs rêves communs. Portrait de leurs rêves adolescents qui muent et évoluent. Portrait des écarts des couples de rêves qui se sont adorés. Deux rêves proches qui ont renié les surprises et les troubles auxquels nous faisons peut-être face un peu plus avec le temps. Des Tony qui ont peut-être besoin de sortir de cette boîte noire de ressemblance. Ils dansent les Tony, ils rient, ils se frappent, ils jouent. Je fus un Tony je crois, un nostalgique qui a passé beaucoup de temps à danser le slow, et penser que Tony a des cousins me réjouit. Quand les opposés s’aiment. Usé ci-dessous.
Pour suivre je l’espère.
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