16 septembre 2020

Trois documentaires pour mieux questionner le pouvoir de l’argent sur les médias

Fragil vous propose une sélection de trois documentaires qui vous permettront d'amorcer une réflexion autour de la critique des médias sous le prisme de leur relation aux milliardaires.

Trois documentaires pour mieux questionner le pouvoir de l’argent sur les médias

16 Sep 2020

Fragil vous propose une sélection de trois documentaires qui vous permettront d'amorcer une réflexion autour de la critique des médias sous le prisme de leur relation aux milliardaires.

Les milliardaires représentent-ils une menace pour les médias ? La sélection de documentaires que nous vous proposons ici penchera plutôt pour le “oui” en vous donnant quelques pistes de réflexion sur le risque que représentent les grandes fortunes pour une information libre, indépendante et plurielle. Trois documentaires centrés sur la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis, présentant les limites du discours de celles et ceux qui, sous couvert de philanthropie et d’aide à la presse, participent à la mise en place de systèmes d’autocensure dans les rédactions, favorisant de ce fait l’homogénéité des discours et la perte de vue de la défense de l’intérêt général, inhérente au rôle du journaliste, au profit de celle des intérêts privés portée par les communicants.

Les Nouveaux Chiens de Garde

Avant de parler de cet excellent film, il semble nécessaire de rappeler que son titre est une référence au non moins excellent livre de Serge Halimi Les Nouveaux Chiens de Garde édité en 1997, lui-même nommé en clin d’œil à l’ouvrage de Paul Nizan Les Chiens de Garde édité en 1932, dans lequel l’auteur critiquait les philosophes de son époque qui défendaient l’idéologie bourgeoise dominante.

Sorti en 2012, ce documentaire réalisé par Gilles Balbastre et Yannick Kergoat, donne à voir les collusions existantes entre les principaux médias français et les hommes de pouvoir, que celui-ci soit politique ou financier. Adoptant un ton délicieusement taquin, le film s’emploie à montrer en 3 chapitres, “indépendance”, “objectivité” et “pluralisme”, les mécaniques d’autocensure qui ont envahi les salles de rédaction au fil du temps. D’Arnaud Lagardère à Jean-Pierre Elkabbach en passant par Alain Minc, Vincent Bolloré, David Pujadas, Serge Dassault, Arlette Chabot et tant d’autres… la grille de lecture critique des liens existants, entre journalistes médiatisés et milliardaires, nous permet de prendre du recul sur la qualité du traitement de l’information en France. Rythmées par des interviews éclairantes, comme celle de l’économiste hétérodoxe et philosophe Frédéric Lordon, et des séquences plus légères, les 104 minutes du film passent en un clin d’œil en laissant tout de même un goût doux-amer au fond de la bouche.

Nous ne pouvons que vous conseiller de visionner ce film qui, même si le paysage politico-médiaco-financier n’est plus tout à fait le même en 2020, vous permettra de rentrer de manière frontale dans la critique des médias.

The Rise of the Murdoch Dynasty

Cet été, la BBC Two a diffusé cette mini-série documentaire en trois épisodes consacrée à l’empire du magnat de la presse Rupert Murdoch. Retraçant le parcours du milliardaire d’origine australienne, ce documentaire s’attache à nous montrer comment, à partir de l’héritage d’une partie de l’empire médiatique de son père, il a réussi à prendre le contrôle d’un très grand nombre de médias influents anglophones et par ce biais, influencer élections et décisions politiques britanniques et américaines. En effet, partisan de l’euroscepticisme, ses choix de direction des tabloïds The Sun et News Of The World appuieront les élections de premiers ministres britanniques, à travers des campagnes de soutien et de décrédibilisation de partis politiques adverses. Dans la continuité, The Sun fera plus tard la promotion du Brexit pendant que de l’autre côté de l’Atlantique, sa chaine Fox News appuiera un certain Donald Trump, avec le succès que l’on connait.

Le documentaire fait aussi la part belle à l’un des scandales qui a entaché durablement l’image du milliardaire et de ses sociétés : les écoutes téléphoniques de News Of The World. Le tabloïd avait effectivement mis en place un système de piratages téléphoniques pour intercepter des communication de responsables politiques, personnalités du monde du spectacle, du sport ou encore de victimes d’enlèvement. Ce système, révélé par The Guardian, a profondément choqué l’opinion publique, a mené à la fermeture du tabloïd suite à une enquête parlementaire pendant laquelle le nom de Murdoch sera associé à la Mafia.

Nous vous conseillons cette mini-série passionnante pour (re)découvrir l’influence de l’empire de Rupert Murdoch sur le monde contemporain. Pour l’instant, ce documentaire n’a malheureusement pas été traduit en français, mais est disponible en version sous-titrée anglaise sur Youtube.

Nobody Speak : Le procès d’une presse libre

En 2016, suite à la diffusion d’un extrait de sex-tape impliquant Hulk Hogan, le catcheur intentait un procès au média Gawker pour diffamation, non-respect de la vie privée et douleur psychique. Le procès mènera à la banqueroute de Gawker Média. Le documentaire Nobody Speak, datant de 2017, se sert de ce procès pour évoquer dans un premier exemple, la menace que représente les grandes fortunes pour les médias. En effet, on y découvre comment la rancune de l’un des milliardaires les plus influents de la Silicon Valley, Peter Thiel, l’a poussé à financer le procès de Hulk Hogan dans le but de détruire le média.

Le second exemple de menace exploré dans le film sera le rachat secret du Las Vegas Review-Journal, journal local de Las Vegas, par le magnat des casinos Sheldon Adelson en décembre 2015. Craignant pour l’indépendance de leur quotidien (crainte qui sera justifiée dans les jours suivants), les journalistes de la rédaction ne connaissant pas leur nouveau propriétaire, ceux-ci devront enquêter afin de découvrir, et de publier dans leurs pages, son nom.

Un documentaire en deux temps, qui vous permettra, entre autre, de mieux comprendre la notion de procès-baillon et de questionner la notion de liberté de la presse aux États-Unis.

Chargé de projets numériques et médiatiques chez Fragil depuis 2017, musicien, auteur, monteur... FX est un heureux touche-à-tout nantais. Il s'intéresse aux musiques saturées, à l'éducation aux médias, aux cultures alternatives et aux dystopies technologiques.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017