«Dans le Panthéon des luttes paysannes, rares sont celles qui ont réussi. Il y a eu le Larzac et … Guérande» avoue dans ce documentaire Alain Courtel, un pornicais séduit par la beauté du site à préserver et que rien ne prédestinait à devenir paludier.
Tout a démarré en 1971 par la construction d’une rocade qui devait couper en deux le marais, un projet que les banques et les promoteurs immobiliers voulaient imposer sous la houlette du puissant Olivier Guichard, maire de La Baule.
Le pot de terre contre le pot de fer
Le tourisme de masse devait transformer le sel en or disaient à l’époque les campagnes de publicité. Face à ce rouleau compresseur, une poignée de jeunes rêveurs, aux cheveux longs et à la fibre écologiste. C’était le pot de terre contre le pot de fer. Le combat semblait perdu d’avance d’autant que le marais périclitait.
«La moitié des œillets étaient à l’abandon» reconnaît Charles Perraud, l’un des principaux meneurs de la lutte, à l’époque étudiant en géographie à l’Université de Nantes. «Les paludiers qui se transmettaient ce savoir ancestral de génération en génération n’arrivaient plus à en vivre correctement. Ils n’y croyaient plus».
Tous les recours juridiques contre le projet avaient échoué, au Tribunal administratif comme au Conseil d’Etat. Mais c’était sans compter sur la détermination et la capacité de mobilisation de ce jeunes soixante-huitards pour qui «un autre monde était possible».
Rayer 2000 ans d’histoire ?
Manifestations, pièce de théâtre, débats, intervention dans les conseils municipaux. Les contestataires actifs ont utilisé tous les moyens pour empêcher le financement de la rocade par les communes et ils ont réussi à remporter la bataille de l’opinion.
«Les élus ne voulaient pas prendre la responsabilité de faire mourir un lieu aussi exceptionnel» explique Charles Perraud. «Ils auraient du rendre des comptes aux générations futures».
«Ce marais, c’est une cathédrale d’argile façonnée par les hommes depuis des millénaires» insiste Alain Courtel dans le documentaire qui sera rediffusé sur France 3 national le 18 avril à 23 heures. «Le marais, c’est 2000 ans d’histoire qui vous regardent».
La force du collectif
Mais la lutte ne s’est pas arrêtée là. Il fallait relancer l’activité, la rendre rentable, trouver de jeunes pour prendre la relève. Et c’est là que la méthode suivie est intéressante : la force du collectif.
Le mouvement s’est structuré. Un groupement foncier s’est constitué pour empêcher que les Salins du Midi ne rachètent les terres à bas prix. Une formation de paludier a été inventée pour apprendre aux nouveaux venus d’apprendre les rudiments du métier.
Une coopérative, Le Guérandais, s’est créée pour investir dans du matériel, constituer des stocks et ne plus être dépendants des prix du marché, et surtout commercialiser le sel artisanal sans être pris dans les griffes des Salins du Midi qui s’enrichissaient sur le dos des petits producteurs. Les coopérateurs ont donc obtenu un label rouge pour valoriser leur sel gris et ils ont été aidés par les grands chefs de la gastronomie française qui ont fait du sel de Guérande un produit de référence.
Croire en ses rêves
Il a fallu beaucoup de persévérance pour arriver à renverser la situation. «Pendant 10 ans, j’étais obligé de faire de petits boulots à côté pour en vivre. J’ai été DJ» s’amuse Charles Perraud, longuement applaudi pour son courage ce mercredi 6 avril au cinéma le Concorde.
Aujourd’hui, le marais de Guérande donne du travail à 350 paludiers et 1 000 saisonniers qui viennent en renfort l’été. Le sel est vendu dans 64 pays et la liste des jeunes qui veulent reprendre le flambeau est longue. Il y a 2 ans d’attente avant de pouvoir exploiter des œillets.
«Rien n’est perdu d’avance» conclut Charles Perraud. «Rien n’est inéluctable. Il faut croire en ses rêves».
Une trace de cette lutte
Avec ce documentaire, Sophie Averty redonne toute sa vitalité à ce combat méconnu voire oublié. Elle laisse une trace précieuse, un espoir à tous ceux qui veulent changer le monde, le rendre plus acceptable, plus respectueux de la nature.
«En racontant cette belle histoire, j’ai voulu monter la force du collectif et d’une nouvelle génération qui est venue avec un autre regard sur le marais» confie la réalisatrice qui avait déjà réalisé il y a 30 ans «Une vie saline», le portrait un paludier historique, Joseph Péréon.