« Vous devez vous classer, mais vous n’avez pas le droit de parler ». C’est ainsi que l’animateur et l’animatrice de Fragil ont introduit l’atelier sur l’algorithmie en cette fraîche matinée de septembre. Réunie dans la cour de la Maison de l’Europe sur l’île de Nantes, la trentaine de professionnels et professionnelles jeunesse adhérante au dispositif Promeneurs du Net a quelques difficultés à communiquer quand on la prive de l’usage de la parole de bon matin. Cependant au bout de quelques minutes, des groupes se forment : garçons d’un côté, filles de l’autre. Enfin pas pour tout le monde, certains et certaines n’avaient pas saisi comment les groupes s’étaient constitués. La parole est autorisée et l’opération est relancée plusieurs fois de suite, en demandant toujours au groupe de trouver de nouvelles manières de se classer.
Classements par taille, par année d’adhésion au programme de Promeneurs du Net, par couleur de chaussures, par possession de lunettes ou pas. Autant de classements qui permettent d’introduire la séance dédiée à l’algorithmie. En effet, en demandant aux participants et participantes d’enchainer certaines opérations de tri dans un ordre puis dans un autre, on s’aperçoit que les résultats sont différents. Le groupe découvre par l’expérience que l’algorithmie c’est : des entrées (chaque individu du groupe et leurs caractéristiques propre), des instruction simples exécutées dans un ordre précis (les manières de trier le groupe) et un résultat.
Après avoir constitué des groupes de quatre, les stagiaires ont rejoint l’intérieur du bâtiment pour des ateliers en demi-groupe. Chaque équipe de quatre personne a été invitée à s’imaginer lancer son propre réseau social et à lui trouver un nom. Puis, en s’appuyant sur des cartes représentant des « posts » de réseaux sociaux et en rebondissant sur la première activité, les groupes ont du trouver un maximum de manière de classer ces posts. (Pour plus de détails sur le déroulé de l’atelier « Algorithme » créé par Fragil, c’est par ici.)
« On se rend compte que tout y est réfléchi et choisi, de façon très délibérée »
Cette étape passée, chaque « réseau social » a dû définir son propre algorithme de classement de fil d’actualité. « Truq » a décidé de n’afficher que les posts qui contenaient les quatre lettres T, R, U et Q et de les classer en fonction de leur nombre de « likes » par ordre décroissant. Les créateurs et créatrices de « Utopie » ont décidé de n’afficher les posts ne contenait aucune marque de négation (« ne » ou « n’ « ) et de les classer par ordre antichronologique. Chaque groupe a pu ainsi comprendre que derrière chaque algorithme il y avait bien des choix humains qui ont des incidences parfois politiques. « En nous mettant à la place de créateurs de réseaux sociaux et en utilisant des exemples simples, on décrypte la logique des algorithmes (si… alors…), et on se rend compte que tout y est réfléchi et choisi, de façon très délibérée » indique Camille Chikaoui, informatrice Jeunesse d’Info Jeunes Pays de la Loire. Enfin, les start-upeurs et start-upeuses du jour ont pu introduire une dimension personnalisée à leur algorithme, incorporant à leurs instructions des opérations liées à des données présentées sur un profil d’utilisateurs. « Si l’utilisateur ou l’utilisatrice à moins de 20 ans, le réseau e.Pistolair n’affichera que des contenus en accord avec son premier centre d’intérêt » , « Si l’utilisateur ou utilisatrice a renseigné un sujet qui ne l’intéresse pas, Day Club n’affichera aucun post lié à cette thématique », autant d’exemples qui ont permis aux participants et participantes de comprendre comment il est possible que deux utilisateurices du même réseau social puissent avoir des fils d’actualités totalement différents. La construction de l’atelier, partant du simple tri d’un groupe de personnes pour terminer sur la création d’un algorithme personnalisé atteint ses objectifs de vulgarisation, comme le souligne l’informatrice jeunesse : « l’atelier est très progressif, ce qui nous permet de prendre conscience petit à petit de comment tout fonctionne. »
La matinée s’est conclue sur un temps d’échange autour des enjeux éthiques et personnels liés à la prolifération des algorithmes dans notre quotidien. Discussion apparemment impactante puisque au delà de l’envergure professionnelle de cet atelier, Camille Chikaoui nous confiera avoir été touchée par cette réflexion au niveau personnel : « ça soulève de nombreuses questions… et me fait remettre en questions mes propres pratiques ».