Le mythe de la décollation de Jean-Baptiste a hanté l’imaginaire de nombreux artistes. Au XIXème siècle, Stéphane Mallarmé en trouva de mystérieux échos dans un poème en trois mouvements (1864), le peintre Gustave Moreau se fixa sur la tête décapitée en une troublante « apparition » (1876), Gustave Flaubert s’empara de cet épisode biblique pour l’un de ses « Trois contes » (1877) tandis qu’Oscar Wilde écrivit pour le théâtre une « Salomé » en français (1891), où Sarah Bernhardt, à la création, devait donner toute sa démesure : Salomé, fille d’Hérodiade, demande la tête du prophète sur un plateau d’argent ! A l’opéra, Jules Massenet a proposé une « Hérodiade » sensuelle et mystique (1881), d’après Flaubert, et Richard Strauss a transfiguré le texte de Wilde en un perturbant chef-d’œuvre (1905), où chaque accord dessine un « mystère de l’amour plus grand que le mystère de la mort ». L’ouvrage de Stradella, qui puise aux mêmes sources, a été créé en 1675 dans une église romaine. Pour cette reprise d’Angers Nantes Opéra, le metteur en scène Vincent Tavernier, et le chef Damien Guillon, à la tête de son ensemble de musique ancienne « Le Banquet céleste », ont révélé toute la puissance et l’éclatante beauté de ce « San Giovanni Battista ».
… chaque accord dessine un « mystère de l’amour plus grand que le mystère de la mort ».
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Scintillements prophétiques
A Nantes, les représentations avaient lieu dans la chapelle Notre-Dame de l’Immaculée Conception, de style gothique et datant du XVème siècle. Cet édifice, situé à proximité du cours Saint-Pierre, est niché au fond de la petite rue Malherbe, une rue pavée qui fait résonner les pas. En ce soir pluvieux de novembre, tous les bruits de la ville semblaient assourdis dans ce chemin à l’écart, comme pour nous préparer à un émouvant retour dans le passé en prélude à la découverte d’un oratorio du XVIIème siècle.
Un lieu propice à une authentique émotion…
On pénètre dans une envoûtante pénombre, où l’on devine encore la splendeur des vitraux, comme de petits secrets dérobés par la nuit. C’est un lieu propice à une authentique émotion, qui se prolonge dans la proximité des voix. Les musiciens de l’ensemble « Le Banquet céleste » donnent un formidable élan à la partition dès les premières mesures. On les sent heureux d’interpréter cette musique, et leur belle énergie est communicative. On peut les retrouver dans un superbe enregistrement de Cantates de Bach ( BMW 170 et 35), paru chez Zig-Zag Territoires.
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Paul-Antoine Benos-Dijan construit par son chant une figure riche en constrastes.
La voix de Jean-Baptiste vient du fond de l’église. Accompagné de ses disciples, il a quitté sa retraite pour venir à la cour d’Hérode, afin de dénoncer ses débordements et de le mettre en garde contre sa mauvaise vie. Cette voix aiguë et irréelle résonne comme une étoile qui scintille. Le choix par Stradella d’un contre-ténor est à l’opposé de celui de Richard Strauss dans « Salomé », où le prophète a le timbre grave et profond d’un baryton. Les avertissements de ce dernier prennent la forme d’envoûtantes arabesques, alors qu’ils éclatent, dans « San Giovanni Battista », en d’éblouissantes ornementations et de tourbillonnantes vocalises. Paul-Antoine Benos-Dijan est impressionnant et construit par son chant une figure riche en contrastes ; sa voix frôle parfois des murmures d’une ineffable délicatesse, d’une troublante étrangeté, tandis qu’elle explose aussi dans les moments d’emportement et de fureur en des élans d’hystérie, lorsqu’il accuse Hérode. Sa caractérisation du personnage est saisissante.
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il y a Hérodiade la fille et Hérodiade la mère, telles deux faces d’une même figure, où chacune est le double de l’autre.
Placée sur l’autel de l’église, la cour décadente d’Hérode est au centre de l’action, comme pour un rituel de mise à mort. Tout en haut du décor vertical, la prison de Jean-Baptiste domine, au sommet d’une tour, alors que chez Strauss, celui que l’on ne veut plus entendre a été enfermé dans une citerne souterraine, d’où jaillit sa voix caverneuse. Les très beaux costumes d’Erick Plaza-Cochet apportent une touche orientale, dans des tissus amples, dorés et brillants, et des coiffures démesurées. Comme dans le passage de le Bible, Salomé n’est pas nommée : il y a Hérodiade la fille et Hérodiade la mère, telles deux faces d’une même figure, où chacune est le double de l’autre.
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Les tourments d’Hérode
C’est notamment sur le second mariage, jugé scandaleux, d’Hérodiade (la mère) avec Hérode que se cristallisent les accusations du prophète ; On l’emprisonne pour ces dénonciations. Le souverain a de son côté été ému de voir sa belle-fille danser pour sa soirée d’anniversaire. Il lui a fait la promesse insensée de lui offrir tout ce qu’elle désirerait.
Elle exige la tête de celui qui insulte sa mère.
Dans l’ouvrage de Stradella, c’est Hérodiade qui persuade sa fille de demander la tête du prophète. Gaïa Petrone apporte une présence fascinante et un chant habité à cette figure de mère excessive, tandis qu’Alicia Amo sculpte une Salomé (qui ne dit pas son nom) par un timbre aux couleurs étonnantes et pleines de nuances, créant la surprise sur quelques notes graves d’une troublante profondeur, inhabituelles chez une soprano : elle exige la tête de celui qui insulte sa mère.
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La fin est un véritable sommet baroque, dans la fusion des contraires.
La relation entre Hérode et sa belle-fille est pleine d’ambiguïté. Leurs duos sont d’une perturbante complicité, et ils échangent un baiser tandis que résonne, du fond de sa prison, la voix de Jean-Baptiste venant d’en haut. C’est alors que l’on devine les combats intérieurs du monarque, violemment perturbé par une promesse qu’il ne maitrise plus. La jeune fille ose la compassion, dans une stupéfiante et paradoxale image de Piéta, magnifiée par les belles lumières de Carlos Perez. Olivier Déjean explore toutes les contradictions d’Hérode, dans une vision très humaine, et ses monologues sont chargés d’émotion. Sa présence est charismatique et sa voix de basse est somptueuse et pénétrante. Le dénouement le plonge dans un état d’anéantissement particulièrement vibrant. La fin est un véritable sommet baroque, dans la fusion des contraires. La tête de Jean-Baptiste a été décapitée ; le macabre présent déchire Hérode, qui se demande pourquoi il doit tant souffrir, tandis qu’Hérodiade la fille explose de joie dans le même temps, en cherchant les causes d’un tel bonheur. On sort de ce spectacle également plein d’interrogations, mais surtout transporté par cette magnifique interprétation d’un chef-d’œuvre méconnu, que l’on a également pu découvrir en novembre à la Cathédrale de Rennes, dans l’Eglise Saint-Jean à Angers, et l’Eglise Saint-Symphorien de Bouchemaine. D’autres dates sont prévues au printemps 2019.
[aesop_image imgwidth= »60% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2018/12/Immaculée-©Mingant-Bourbonnais-1.jpg » credit= »Alexandre Calleau » align= »center » lightbox= »on » caption= »L’église Notre-Dame de l’Immaculée Conception où avait lieu le spectacle à Nantes » captionposition= »center » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]
Reprises en 2019 :
Angers
Collégiale Saint-Martin
29 et 30 avril 2019
Fontevraud
Abbaye Notre-Dame
4 mai 2019
Sallertaine (Vendée)
9 mai 2019
Et d’autres dates à venir à Nantes métropole, en Pays de la Loire et en Bretagne.