Nous voici désormais au second chapitre de cette enquête. Ce deuxième article est consacré aux politiques publiques et aux poids que ces dernières peuvent avoir dans le développement des nouvelles mobilités de la ville de Nantes.
De fait, une question se pose quand on évoque cette corrélation : la mise en place de politiques publiques doit-elle être un élément obligatoire dans le processus de développement des nouvelles mobilités à Nantes ?
En partant de ce questionnement, nous nous sommes entretenu avec Simon Citeau, élu depuis juin 2020 en tant qu’adjoint à madame la maire, Johanna Rolland et responsable de deux délégations : le développement des modes actifs, de la marche et du vélo ainsi que responsable du quartier Doulon-Bottière, localisé à l’est de Nantes.
Fragil : Notre sujet évoque la mobilité douce, sujet pour lequel vous êtes amené à apporter des réponses tout au long de cet entretien. Afin que nos lecteur⸱ices soient plus à l’aise avec la notion de mobilité douce, pourriez-vous la définir ?
Simon Citeau : Je préfère la définition de modes actifs qui correspond au fait que le corps humain dispose de sa propre énergie pour se déplacer. Cette notion fait écho à tout ce qui a un rapport avec le déplacement de l’énergie humaine. Que cela soit la marche, le vélo, le roller ou bien la trottinette sans assistance. J’aime cette notion-là car cela représente bien ce que ce type de mobilité est. C’est-à-dire qu’elle rassemble à la fois les enjeux de déplacements mais aussi les enjeux de santé publique, de bien-être et bien entendu des enjeux environnementaux assez importants.
Pour vous, qu’est-ce qui distingue la notion de mobilité douce de la mobilité durable ? Et peut-on les faire coïncider ?
Cela dépend de quelle définition on met derrière, il est habituel que certains mettent en avant un certain mode de déplacements avec une énergie électrique. Moi je pense que les voitures électriques ne sont pas la solution aux enjeux de déplacements de demain. Elles peuvent être une réponse mais loin d’être la solution et en tout cas loin de tout régler sur les questions de mobilités. C’est pour cela que je ne suis pas forcément à l’aise avec cette notion de mobilité durable qui peut être un petit peu fourre-tout. Je préfère la notion de mobilité active et mobilité partagée, c’est-à-dire le transport collectif et le covoiturage qui correspond plus à de vrais enjeux de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Nous savons que la voiture reste le transport privilégié des français. De votre opinion, comment favoriser concrètement l’usage des autres transports dits « doux » ? Par des politiques d’incitation, d’obligation ou bien de restriction ?
Ce qui se passe aujourd’hui c’est que la croissance démographique s’additionne avec l’augmentation du nombre de déplacements que fait chacun et chacune tous les jours. Cela génère une pression assez forte sur les capacités de déplacements car nous ne sommes plus à l’ère Haussmann où l’on a démoli un certain nombre de bâtiments pour construire de grands boulevards.
De fait, avec de plus en plus de monde et de déplacements par personne on a besoin de faire passer les flux de déplacements dans un tuyau toujours aussi large et qui ne bouge pas en terme d’espace. De plus, il est notable de remarquer que le mode de transport le plus consommateur d’espace reste la voiture individuelle. Bien entendu, on se retrouve régulièrement seul⸱e dans notre voiture qui fait plusieurs m2 alors que le fait de faire du covoiturage par exemple revient à réduire cet espace et de fait à l’optimiser.
Il en est de même en ce qui concerne le fait d’utiliser son vélo, de marcher, de prendre les transports collectifs également. Et pour que les un⸱es et les autres arrivent à la congestion, on fait des choix collectifs ambitieux ou finalement on réattribue les espaces pour mettre la priorité aux modes qui soient actifs ou partagés ce qui génère parfois des crispations et un peu de congestion ponctuelle.
Toutefois nos choix se révèlent être des accélérateurs de changements de comportements en ce qui concerne l’accompagnement, la sensibilisation, l’explication, la valorisation et la diffusion des bonnes pratiques.
Tout cela est très important mais parfois il y a aussi des actions de politiques publiques qui sont là pour forcer un peu le destin car ces décisions sont en adéquation avec le questionnement des uns et des autres et donc quand on réaménage la voirie, on sait que de toute façon les évolutions des comportements de mobilités sont en place.
Bien entendu on constate l’augmentation du nombre de déplacements par personne mais on constate aussi qu’il y a de plus en plus de piéton⸱nes et de cyclistes notamment dans les grandes villes de France mais pas que. Par conséquent quand on sait que la tendance est déjà présente et quand sait que quand on aménage quelque chose, c’est pour 50 ou 100 ans, on doit déjà prévoir ce que sera l’avenir de demain et par conséquent forcer un peu les changements de comportements, accélérer un peu les bascules.
Êtes-vous confrontés à des réticences quant au développement de certains projets ? Que cela soit au sein du conseil municipal ou bien par les habitants eux-mêmes ?
Le rôle des élu⸱es est de convaincre et effectivement on n’y arrive pas toujours, on est toujours confronté à des réticences donc oui c’est une réalité. En fait, ce qui est particulier, au-delà de l’aspect d’usage qui est un sujet, il y a aussi tout un tas d’aspects psychologiques dans la question de la mobilité, la notion d’habitude et de continuité de son habitat un peu privatisé.
En somme, la voiture est considérée comme un petit appartement, on transporte notre chez soi. On est dans notre bulle à nous et cette dernière est souvent vu comme une bulle protectrice. Les réticences sont liées à l’usage ou bien à la facilité de se déplacer mais aussi du fait d’un tas de perceptions plus ou moins identiques les uns des autres de ce qui se passe quand nous nous déplaçons ainsi que de la perception de sécurité que nous avons développée avec le temps.
Certaines personnes voient le fait de prendre les transports en commun comme quelque chose de dégradant envers leurs conditions sociales, et le fait que certains transports en commun ne soient pas toujours considérés comme « hygiéniques » par certains utilisateurs n’aident pas certaines personnes à passer le pas, qu’avez-vous à répondre à ces questionnements et comment faire pour que les réticents change d’avis ?
Toutes ces questions des biais cognitifs, c’est majeur. Effectivement, il y a beaucoup de choses qui peuvent se jouer sur la question des transports collectifs. Par exemple, pour certain⸱es, cela leur rappelle certaines histoires qu’ils ont eues dans le cadre des transports scolaires qui a de fait pu générer un certain nombre de représentations, de choses qui sont subies en terme de temps de parcours, de durée ce qui fait que parfois on peut hésiter à basculer une fois qu’on est en âge de conduire sa propre voiture. Mais encore, il y a cette question de la qualité du transport public et de l’image que cela renvoie y compris pour sa propre condition sociale.
Donc la question de la propreté est aussi un enjeu mais au-delà de cela, la question de la rénovation du matériel roulant, des tramways, des bus, des différents véhicules qui contribuent à jouer sur l’image de modernité des transports collectifs, et cela fonctionne aussi pour l’ambiance sonore. Il faut que les personnes se sentent le plus à l’aise possible pour pouvoir utiliser ces types de transports.
Pour essayer d’influencer le choix des personnes, la question des défis est aussi très présente. En effet, nous essayons de jouer sur des moments de bascules. Cela marche assez bien, notamment avec les employeurs mais pas uniquement. Tout cela est fait dans le but que la personne puisse se dire qu’elle va essayer de changer de mode de transport pendant une durée courte pour aussi se demander, qu’est-ce que ça m’apporte de faire différemment. On a plutôt des bons retours sur ces types de défis, cela fait écho par exemple au challenge « mai à vélo » mais pas que. Plus je vais essayer des modes de transports différents pendant par exemple 15 jours / 3 semaines, plus je vais me rendre compte des bienfaits que cela m’apporte. Qu’il y a en effet des inconvénients que j’avais au préalable identifiés mais aussi des avantages que je n’avais pas forcément soupçonnés qui sont intéressants, vertueux et me font du bien et qui me permettent de changer ma perception des choses.
Et l’aspect climatique peut se révéler être un frein non ? C’est-à-dire qu’il paraît plus simple pour certaines personnes de prendre son vélo quand le temps est agréable que sous des trombes d’eau ?
C’est un sujet, mais de moins en moins, c’est-à-dire que je parlais tout à l’heure de rupture dans les comportements et le Covid en 2020 a accéléré ces grandes modes de ruptures dans les comportements car on a vu a à ce moment-là beaucoup de gens qui ont basculé sur la marche et le vélo.
Ces personnes au début n’étaient pas forcément très à l’aise avec ces nouvelles pratiques mais sont montées en aisance dans leur pratique particulièrement lors des météos favorables et qui de fait, le jour où il a fait moins beau se sont demandé comment s’équiper en conséquence car elles se sont rendu compte que c’était un mode de déplacement qui leur convenait.
Même si en effet, les nouveaux utilisateur⸱ices qui viennent de changer de modes de déplacements, souvent les jours de pluie reviennent à leurs anciens modes de déplacements mais plus ils se fidélisent sur ce mode et plus ils vont s’équiper en parallèle (vêtements de pluie, pantalons de pluie pour le vélo, parapluie pour la marche, la préparation des vêtements de rechange…). On observe en effet une bascule dans plusieurs grandes villes françaises car même les jours de pluie, les taux d’usages restent importants.
Pouvez-vous nous évoquer plus précisément les actions que vous avez menées ces dernières années en faveur des mobilités douces?
Alors on a fait beaucoup de choses. Déjà il y a eu toute la période confinement ou on a développé plus de 25 km d’itinéraires piétons et cyclables supplémentaires avec ce qu’on appelle l’urbanisme tactique (de la peinture au sol, des révisions de plans de circulation, des ajustements à la marche) ce qui permettait de donner plus de place aux piéton⸱nes et au vélo. Depuis 6 mois, on a lancé une aide à l’achat vélo sous condition de ressources car nous nous sommes rendu compte que les précédentes aides à l’achat étaient plutôt des effets d’aubaines que des véritables accélérateurs de changement de comportement, et que cette aide profitait surtout à des profils de personnes qui n’avaient pas forcément besoin de cette aide pour basculer car ils avaient les ressources pour le faire.
Par conséquent, plutôt que de s’adresser à tous les publics, on a ciblé les personnes qui en avaient le plus besoins avec des taux de prise en charge qui vont de 70 à 90% de prise en charge de l’achat du vélo plafonné à un certain seuil quel que soit le type de vélo (vélo location, vélo électrique, vélo cargo, vélo pliant). L’objectif est d’aller chercher des nouveaux utilisateur⸱ices.
On a aussi renforcé fortement notre « flotte » de vélo en location longue durée. Ces derniers se révèlent être des outils très efficaces pour ce qu’on appelle le report modal, c’est-à-dire la bascule de la voiture vers le vélo. Et puis, nous avons une stratégie de développement de 50 km supplémentaires d’itinéraires sécurisés aménagés en tant que tels et donc on est en train d’aménager ces itinéraires vélos structurants qui sont séparés du trafic voiture car nous avons une attention particulière sur les croisements, les carrefours qui sont souvent des lieux anxiogènes et dangereux pour les vélos.
Et dernier point, on a commencé à doubler, et l’objectif est de tripler, l’aide aux associations vélo car elles font un travail colossal auprès du public. Elles réalisent des vélos écoles, des ateliers d’autoréparation, de la sensibilisation, nous donnent un avis sur les aménagements possibles, nous aide à chercher des publics cibles (les étudiant⸱es, les femmes dans les quartiers populaires, des jeunes actif⸱ves…). Donc on a vraiment eu cet effet levier important de l’aide aux associations en travaillant avec elles leurs objectifs pour développer ce que l’on appelle la culture vélo et par conséquent travailler en maillage, finement car ce que peut faire une collectivité et une association se révèle très complémentaire.
Au niveau du budget, combien alloue la ville de Nantes aux projets de mobilités douces ? Avez-vous certains chiffres à nous fournir ? En somme, est-ce que le sujet des mobilités douces est un sujet important au sein de la ville ou cela passe-t-il encore au second plan ?
Dans le cadre des élections de 2020, un des rares budgets qu’on avait inscrit dans notre programme était la question du budget pour le développement du vélo et donc on a inscrit un budget de 115 millions d’euros sur 6 ans pour les investissements. Cela correspond à trente euros par an et par habitant, ce qui était en fait une préconisation de la fédération des usagers de la bicyclette pour pouvoir développer une politique cyclable de qualité.
Sur la marche, c’est plus difficile d’identifier un budget pour la simple raison que cela passe beaucoup par l’aménagement des espaces publics. Quand on requalifie un espace public, on fait quelque chose de bénéfique pour la marche. On végétalise l’espace public. Par exemple, le plan fontaine (carte des points d’eau potable) est une chose bénéfique pour la marche. On a adopté une stratégie marche au sein de la métropole, des quartiers populaires jusqu’au centre-ville pour faire en sorte de léser personne.
J’aimerais finir sur une question un peu plus globale. Êtes-vous optimiste pour l’avenir des mobilités douces ?
Il reste des progrès à faire, mais je suis très optimiste. Je dis souvent que je suis assez content de devoir gérer des saturations de stationnements de vélo car nous réalisons qu’ils sont utilisés et que ces aménagements répondent à un réel besoin. En effet, on a vu la rupture en 2020 avec la crise Covid et elle est désormais confirmée. On est entre +10% et +15% par an de progression du développement du vélo. C’est colossal, on n’a jamais eu ce type de chiffre à Nantes.
On sait qu’on avait une ambition. En 15 ans, on voulait multiplier par 4 la pratique du vélo à Nantes et on avait besoin d’une telle progression de pratique et donc au vu des dernières tendances, je suis plutôt optimiste.
En effet, on fait face à une limite de capacité dans certaines infrastructures et ce même dans nos pistes cyclables conçues il y a peu. C’est une bonne nouvelle mais cela nous oblige déjà pour nos futurs aménagements à anticiper et à adapter certaines pratiques pour la sécurité de tous. Ainsi, nous pourrons fluidifier certains trajets et continuer à prioriser les piéton⸱nes et les cyclistes.
Fin de l’entretien et conclusion de mon début d’enquête :
À la suite de cet entretien, l’espoir m’envahit car je ressens une responsabilité collective assumée par nos concitoyen·nes et nos élu⸱es. Mais cela m’oblige aussi à interroger d’autres acteur⸱ices de l’agglomération nantaise qui pourront affirmer ou bien infirmer ce que Monsieur Citeau nous a évoqué dans cet entretien. Mon enquête est loin d’être finie.
Par conséquent, dans la troisième partie de mon enquête, je me dois désormais de m’entretenir avec une association promouvant les mobilités douces comme moyen de transport au quotidien pour permettre aux lecteur⸱ices d’observer une autre réalité des modes actifs. Mais le fait que la sixième ville de France semble réussir sa « mue des modes actifs » me donne un grand espoir quant au futur de ces mobilités, reste maintenant à savoir ce qu’en pensent les associations et les habitant⸱es de l’agglomération Nantaise.