28 février 2018

Zoom sur les faces cachées d’Internet

Le vendredi 09/02/2018, la faculté de pharmacie de Nantes à ouvert les portes d’un de ses amphithéâtres pour y accueillir Romain Badouard qui a animé une conférence extrêmement intéressante, ouverte au public et gratuite, portant sur les côtés obscurs du Net que nous côtoyons tous les jours.

Zoom sur les faces cachées d’Internet

28 Fév 2018

Le vendredi 09/02/2018, la faculté de pharmacie de Nantes à ouvert les portes d’un de ses amphithéâtres pour y accueillir Romain Badouard qui a animé une conférence extrêmement intéressante, ouverte au public et gratuite, portant sur les côtés obscurs du Net que nous côtoyons tous les jours.

Surveillance en ligne, bulles de filtre, discours de haine, harcèlement en ligne, « Fakesnews » (fausses informations)… Avant Internet était un outil d’émancipation, un espace de liberté, le champ de tous les possibles. Aujourd’hui, Romain Badouard a tendance à parler d’un « désenchantement ».

[aesop_image imgwidth= »50% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2018/02/IMG_8222.jpg » credit= »Maëlane Guerit-Guillon » align= »center » lightbox= »on » captionposition= »left » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]

Pour faciliter la compréhension de ce sujet d’actualité particulièrement complexe, Romain Badouard* a choisi de fractionner ses propos en sept grandes parties et de les illustrer aux travers d’exemples.

1. Internet, un outil de la démocratie ?

Fakenews, discours haineux, propagande, censure, harcèlement… Internet perd de plus en plus la confiance de ses usagers dans sa capacité d’être un outil de la démocratie.
Pour exemple, l’affaire Snowden de 2010. Rappelons que l’ancien agent de la CIA et ex- consultant de la NSA, Edward Snowden, a révélé des informations sur la surveillance mondiale de l’Agence nationale de sécurité américaine (NSA). Ses révélations portent sur la surveillance mondiale d’Internet, mais aussi des téléphones portables et autres moyens de communication et ce, principalement par la NSA. Elles seront publiées par les médias en 2013.
Les états, au nom d’une menace terroriste, ont édifié une toile de surveillance mondiale (à laquelle les services de renseignement occidentaux ont d’ailleurs eux aussi adhéré) et ont imposé une idéologie sécuritaire. Ainsi, ce système fait peser un risque majeur sur les libertés.

Autre forme de limitations des libertés, les « Gate-keepers ». Les Gate-keepers sont tout simplement des journalistes. En effet, les journalistes ont le pouvoir de décider de qui a le droit de parler dans le débat public et qui en est exclu.
Or, ce pouvoir propre aux journalistes autrefois a disparu avec l’arrivée d’Internet qui a permis à tous de s’exprimer et d’intervenir dans le débat public. étant donné que certains usagers prenaient leur liberté d’expression trop à cœur, il a tout de même été mis en place un système de filtrage sur Internet via les nombreux algorithmes présents sur le Net.

[aesop_image imgwidth= »60% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2018/02/IMG_8433.jpg » credit= »Apolline Hermelin-Mainguy » align= »center » lightbox= »on » captionposition= »left » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]

2. Internet, une nouvelle vision de l’égalité

Sur Internet, tous les internautes sont à égalité. Mais l’autorité n’a pas disparu loin de là, elle a seulement évolué.
Prenons l’exemple de Wikipédia. Wikipédia est une encyclopédie en ligne qui a la particularité d’être libre et éditable par les internautes eux-mêmes. Elle permet donc à tous de publier ou modifier un contenu ou une définition.

Mais alors, si nous sommes tous égaux sur Internet, qu’est ce qui fait que votre parole aura du poids ? La réponse est : votre popularité.
En effet, votre notoriété sur le web rendra votre parole crédible et elle sera plus facilement visible et à la portée de tous. Ainsi, elle comptera plus que celle d’un autre utilisateur qui, lui, est inconnu sur la toile.

Malheureusement, cette soif de popularité superficielle sur le web est l’origine d’un véritable marché noir où les internautes sont prêts à tout pour gagner en grade dans la « webosphère ». De ce fléau est né le « digital labour » ou travail numérique.

Par le « digital labour » nous désignons l’ensemble des pratiques liées au numérique : les activités sociales, d’objets connectés ou d’applications mobiles, qui produisent de la valeur (qui est appropriée par les propriétaires de grandes entreprises technologiques), qui sont soumises à un encadrement contractuel (par la mise en place d’obligations et de contraintes contractuelles à la contribution et à la coopération contenues dans les conditions générales d’usage) et qui sont mesurées (moyennant des indicateurs de popularité, réputation, statut, etc.).

C’est un travail invisible tout particulièrement présent en Asie, où par exemple des personnes créent de faux comptes sur les réseaux sociaux en l’échange d’une petite rémunération, proche de l’exploitation.
La notoriété produite de cette manière est donc une notoriété artificielle.

Pour illustrer ce fait, prenons l’exemple du président américain actuel, M. Trump. Lors de sa campagne présidentielle, il affichait 4 millions de followers sur son réseau social favori, Twitter. Or, il est intéressant de savoir que seulement 2 millions d’entre eux étaient de véritables personnes. Les 2 autres millions n’étaient rien d’autre que de faux followers (alias « fake accounts ») créés par des petits malins (la plupart du temps originaires de pays pauvres) qui ont trouvé le moyen de se faire de l’argent facilement.

3. Savoir dissocier vie publique et vie privée…

La barrière entre vie publique et vie privée a tendance à s’estomper avec les réseaux sociaux. En effet, les témoignages personnels peuvent très vite devenir publics (par exemple avec le #Balancetonporc).
Les réseaux sociaux sont un moyen très intéressant et efficace pour faire passer un message et rappeler son existence, cependant ils peuvent aussi nous jouer des tours.
En partageant vos opinions personnelles sur la toile, elles peuvent tout aussi bien passer inaperçues que créer un véritable « buzz ». Ce que vous partagez étant directement rattaché à votre personne et à votre identité personnelle, il vaut mieux être vigilant au risque d’être l’auteur d’une polémique née d’un « bad buzz » qui peut vous poursuivre jusque dans votre vie privée.

C’est pourquoi il est important de protéger sa vie personnelle aux yeux des autres en maintenant une certaine frontière entre sa vie publique et sa vie privée sur les réseaux sociaux.

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4. Partager des informations sur les réseaux sociaux : Pourquoi ?

La première raison de l’utilisation des réseaux sociaux serait d’informer ses proches. En effet, sur les réseaux sociaux, nous disons quelque chose de nous, nous partageons notre opinion, les informations qui nous intéressent… Nous créons ainsi notre propre identité numérique.

5. Une nouvelle démocratie : la « démocratie push-button »

La « démocratie push-button » ou en français, « démocratie en un clic » est une façon de s’engager sur Internet, simplement en cliquant sur un bouton avec son doigt ou sa souris d’ordinateur. Sur le web, les méthodes pour participer sont peu contraignantes, cela permet aux personnes mal à l’aise avec l’écrit de donner elles aussi leur avis (soutien, désaccord, impression, etc.). Les compétences écrites étant souvent mal réparties dans la population mondiale, Internet offre cette nouvelle forme de communication très simple qui va permettre aux personnes habituellement en marge de participer.
C’est une nouvelle forme de participation, un nouvel indicateur d’un mouvement de contestation.

6. L’enfermement idéologique sur Internet

Saviez-vous que les réseaux sociaux et de façon plus générale Internet, récoltent vos données ? Prenons l’exemple de Google. Le géant de l’Internet personnalise vos recherches en fonction des recherches passées que vous avez faites. Il les analyse et va adapter son contenu à vos goûts personnels, pour vous conforter dans vos certitudes.
Donc, en fonction de vos préférences idéologiques, Google va vous proposer des solutions qui vont vous conforter dans vos opinions.

Un second exemple ? Facebook. Première source d’informations des 18-25 ans, le réseau social sait quasiment tout de vous ! Ce que vous aimez, la date de votre anniversaire, vos coordonnées, votre position politique, votre cercle d’amis… Par conséquent, toutes ces données lui permettent de vous proposer, sur votre « fil d’actualités », les informations qui sont les plus susceptibles de vous intéresser. En politique, si vous êtes plus de Gauche, vous aurez beaucoup plus de mal à voir les publications et actualités de personnes de Droite. Cela est fait exprès dans l’optique de vous conforter dans vos points de vue.

De même, si Facebook détecte que vous êtes plus proche d’une personne en particulier, il mettra en avant son contenu. Il semblerait même que l’on a accès à l’actualité de seulement 10 % de nos amis sur Facebook, nos amis les plus proches.
Or, une « amitié » se créée entre deux individus lorsqu’ils partagent les mêmes opinions, ont des points communs, font partie de la même classe sociale, ont les mêmes avis politiques… se ressemblent. Ainsi, les informations que l’on voit sont celles de nos proches, ils pensent comme nous et cela nous conforte dans nos idées.

On peut donc en arriver à la conclusion que les réseaux sociaux, comme Facebook, forment une bulle idéologique.
Bulle idéologique dans laquelle nous restons, contre notre gré.

«À force d’adapter son contenu à nos goûts personnels, Internet nous conforterait dans nos certitudes »

[aesop_image imgwidth= »50% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2018/02/pexels-photo-450276-e1519723948236.jpeg » align= »center » lightbox= »on » captionposition= »left » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]

7. La privatisation d’Internet

Internet est un réseau décentralisé au service de la société mais où la censure est devenue très compliquée.
Chaque ordinateur connecté peut accéder à des informations, les créer, les posséder et les rendre publiques sur la toile. En ce monde où l’information est instantanée et son accès facilité, les procédures pour supprimer des contenus non-désirables ou sensibles, tels que des fakesnews par exemple sont un véritable parcours de combattant. Il ne suffit plus d’avoir la volonté de censurer, il faut aussi en avoir les moyens.

On assiste aujourd’hui à une forme de recentralisation d’Internet principalement autour des grandes firmes telles que Facebook, Amazon, Apple ou encore Google… les « GAFAM » (acronyme de Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) qui regroupent la majorité des services sur Internet.

Par conséquent, si vous souhaitez supprimer une donnée hébergée par l’un de ces géants du web, il va falloir jouer des coudes et surtout, avoir de l’argent.

On constate depuis peu que certaines informations sensibles et censurées arrivent tout de même à percer et se répandre sur la toile. Internet est devenu instable pour ceux qui souhaitent contrôler l’information.
Ainsi, dans certains états, la cybercensure* est utilisée sur diverses plateformes. Facebook par exemple, n’est pas autorisé en Chine, et en Iran vous ne trouverez pas YouTube.

 

* Conférence de Romain Badouard, conférencier, chercheur et auteur du livre « Le Désenchantement de l’Internet – Désinformation, rumeur et propagande ». Romain Badouard est maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’université de Cergy-Pontoise, chercheur au sein du laboratoire AGORA. Ses recherches portent principalement sur les mouvements d’opinion, les mobilisations politiques et la participation citoyenne sur internet. Il est également auteur du livre « Le Désenchantement de l’Internet -Désinformation, rumeur et propagande » publié en 2017.

*La censure de l’Internet aussi appelée « cybercensure »

Pour aller plus loin…

La face cachée de Google

LU – Romain Badouard pour « Le désenchantement de l’Internet’

#FakeNews : Internet est-il devenu l’ennemi de la démocratie

Romain Badouard : les nouvelles guerres du Net (TV5MONDE) :

 

 

Née à Montréal (Québec), Maëlane est une étudiante en Communication voyageuse et curieuse. Depuis toujours intéressée par le milieu journalistique, elle le touche du doigt en combinant les petites expériences dont son blog personnel portant sur le voyage et son bénévolat à Fragil.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017